Le film qui m’a plu
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Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet
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Quand le film se termine, les spectateurs sont « scotchés » dans leurs fauteuils. L’émotion est palpable, on n’entend pas dans la salle l’habituel brouhaha des fins de séance. Certains ont étiqueté cette œuvre « documentaire ». Certes on découvre que les malheurs des migrants ne s’arrêtent pas quand ils sont en Europe, mais il ne s’agit pas d’un documentaire, genre cinématographique bien défini, c’est une fiction. Il y a un scénario, une mise en scène qui vous tient en haleine du début à la fin de l’histoire.
Un travail clandestin
Comme le titre l’indique, c’est une histoire, celle d’un jeune Guinéen, Souleymane (magnifiquement interprété par Abou Sangaré), qui, arrivé en France après un long périple, n’a plus que 48 heures pour déposer sa demande d’asile. C’est un autre Africain, un certain Barry (Alpha Oumar Sow), qui lui fournira les « papiers » nécessaires à celle-ci, en échange d’une certaine somme d’argent ! Ce même Barry lui a fait apprendre « le récit » de l’histoire qu’il devra dire devant la personne qui le recevra pour l’entretien réglementaire (Nina Meurisse) lorsqu’il ira déposer son dossier. Souleymane donnera-t-il assez de détails ? Ne se coupera-t-il pas ? (Eh oui ! Ce récit ne correspond pas vraiment à la réalité des faits…) Souleymane réussira-t-il à réunir à temps l’argent que Barry lui réclame ?
Il s’agit d’un thriller : le spectateur suit avec anxiété la course de Souleymane à travers Paris, sur ce vélo qui lui permet un travail clandestin fort peu rémunéré : livrer des repas. Dès le début du film on le voit pédaler d’une livraison à une autre, et l’on a vite compris que ce qu’il fait n’est pas tout à fait régulier, car il dit s’appeler Emmanuel quand il répond sur son téléphone portable… En fait, il travaille sur le compte d’un certain Emmanuel (Emmanuel Yovanie), un autre Africain, bien installé semble-t-il, un peu « bling-bling », qui lui a passé son téléphone. Emmanuel a un compte de livreur sur une plateforme et le lui « loue » moyennant la moitié des gains, produit des courses que Souleymane fait à sa place. Sans doute chrétien (vu son prénom), il ne semble pas témoigner de l’Évangile ! Sa compagne jette brutalement à la porte Souleymane venu expliquer l’accident qui lui est arrivé, lequel, de fil en aiguille a provoqué la fermeture du compte d’Emmanuel par la plateforme. « Tous les mêmes, ces Africains (!) » dit Emmanuel méprisant à l’égard de celui qu’il exploite, et à qui il ne veut pas payer ce qu’il doit, parce qu’il le rend responsable de la fermeture du compte…
Une personnalité attachante
On découvre les soupes populaires, le bus du Samu social qui prend en charge les personnes sans-domicile fixe pour les amener vers un lieu d’hébergement très provisoire pour la nuit, les asiles de nuit, où des amitiés s’ébauchent, où des conseils s’échangent entre les habitués d’origines et d’âges divers, les policiers goguenards, les clients inconscients de la vie que mènent ces livreurs.
Souleymane n’a vraiment pas de chance. Le scénario dresse devant lui bien des obstacles en 48 heures, et on se dit qu’il est bien « méritant ». Il y va de sa survie, il avance poussé par l’espoir, malgré tout ce qui se met en travers de son chemin. Mais Katiatou restée au pays l’attendra-t-elle ? Finalement, l’aspect « parcours d’un migrant » (à travers de multiples pays) dit par Souleymane en quelques mots lors de son entretien (et l’on voit le grand nombre de personnes qui sont assises, dossier en mains, dans la salle d’attente) est éclipsé, je trouve, par la personnalité attachante de ce jeune homme déterminé. Il doit s’en sortir ! Et c’est là que le film m’interroge, précisément parce que l’émotion suscitée chez le spectateur l’égare ! Ce film, qui nous émeut tant, montre une vie difficile parmi d’autres, mais les raisons du jeune homme ne sont pas celles que l’on croit. Elles n’en sont pas moins poignantes, je vous les laisse découvrir. Cependant a posteriori, on soupçonne que bien des « récits de victimes », dans quelque domaine que ce soit, entendus comme « témoignages », sont peut-être imprégnés de mensonge ! « Tu n’es pas un menteur ! » dit un voisin de misère à Souleymane inquiet avant son entretien. « N’aie pas peur, contente-toi de dire ce que tu as vécu. » Et lors de l’entretien, Souleymane qui ne supporte plus de mentir, va dire autre chose que ce qu’il avait « appris » à dire. « Ma mère m’a toujours dit de ne pas mentir ».
Inventez, inventez, la parole mène le monde, mais quelle parole ? La « vérité alternative » vient-elle se loger jusque chez « les damnés de la terre » ? Mais qui sommes-nous pour juger ? Le serpent de la Genèse s’insinue en chacun de nous. Pour le pire et pour le meilleur ?