Cinéma
En même temps que son documentaire Les prières de Delphine, la cinéaste camerounaise Rosine Mbakam nous présente une fiction, Mambar Pierrette. Il est difficile en la découvrant de ne pas penser au néo-réalisme italien, tant elle en reprend l’économie de moyens et l’idée d’une fiction tissée dans la réalité contemporaine : à Douala, Pierrette se bat avec sa machine à coudre défaillante, avec les inondations qui submergent son quartier, avec un mari absent (du domicile comme du film)…
Son destin est emblématique de tant de femmes camerounaises d’aujourd’hui, qui ne peuvent compter que sur elles-mêmes et la solidarité féminine. Pierrette rencontre celle-ci au détour d’une agression, mais aussi dans de petits gestes de voisines. Elle-même est là pour entendre les souffrances de ses amies, leur tendre la main. Le courage de cette héroïne du quotidien, son attention à ses enfants et aux autres, empêchent le film de sombrer dans le désespoir. Pierrette fait face, sans jamais pleurer, sans s’écrouler, à des vicissitudes qui sont le lot quotidien de ses « sœurs » camerounaises.
Comme dans certains films de Rossellini, De Sica ou, plus récemment, des frères Dardenne, on ne quitte pas le personnage, filmé de près, d’une semelle, de galères en démarches plus ou moins condamnées à l’échec. Un clown épuisé qu’elle accueille avec l’attention qu’elle porte aux malheureux, se révèle un frère de misère, ce qui n’empêche pas ce saltimbanque de faire rire envers et contre tout les enfants du quartier : la vie continue.
Si cette fraternité dans le dénuement émeut, on sent en filigrane la révolte de la réalisatrice, que l’on partage : où sont les hommes et où est l’État ? Comment ce pays, autrefois deuxième puissance économique du continent, dont des multinationales, parfois françaises, exploitent aujourd’hui encore les richesses, a-t-il pu engendrer une telle souffrance ? L’unique moment de colère de Pierrette vise un voisin qui tente de la recruter comme figurante (mal) payée pour un meeting présidentiel. « J’ai du travail à faire », répond-elle, furieuse. La pauvreté n’est pas l’indignité, c’est ce que nous dit ce beau film.
Philippe Arnaud