Ni chaînes ni maîtres – La Noire de…

Ni chaînes ni maîtres, un film de Simon Moutaïrou, 2024 - La Noire de…, un film d'Ousmane Sembene, 1966.

CINÉMA

 

Par Philippe Arnaud

 

Il peut sembler étrange de rapprocher deux films aussi différents. Le premier est à peine un long-métrage (1 h), en noir et blanc, dont l’action se passe dans les années 1960, et qui prend la forme d’une tragédie. Il ressort ces jours-ci en copie restaurée (4k). Le second, en couleurs, est réalisé près de 60 ans plus tard, et son intrigue se déroule en 1759 ; il s’apparente à un thriller. Ces deux œuvres ont pourtant beaucoup en commun.

 

Commençons par l’anecdote : tous deux sont ciblés par la fachosphère. Les acacias, diffuseur de La Noire de…, rapporte être submergé par des messages d’un racisme agressif et haineux. Ce sont par ailleurs les premiers films de leur réalisateur-scénariste. Le Sénégalais Sembene Ousmane, docker, maçon, puis écrivain (!), avait réalisé un court-métrage peu avant. Le Franco-Béninois Simon Moutaïrou est un scénariste reconnu.

 

Ces deux films ont une thématique commune : l’esclavage. Ni chaînes ni maîtres, très documenté, célèbre le marronnage, dans les décors splendides de l’Île Maurice (alors « Isle de France ») à travers la fuite hors des plantations de Massamba et de sa fille Mati. Ils sont poursuivis par Mme La Victoire (Camille Cottin), redoutable chasseuse d’esclaves. La Noire de… raconte un esclavage domestique sordide : une jeune Sénégalaise embauchée par des coopérants se voit privée de toute liberté une fois en France. Ce sont des femmes qui sont au cœur des films, voire de la narration, et mènent l’action. On peut parler ici de féminisme, liant colonialisme et oppression patriarcale.

 

Ce sont deux films coups de poing. Ils sont imparfaits comme tout premier film. Le premier utilise une voix off légèrement trop littéraire pour traduire les pensées de l’héroïne. Le second abuse parfois de mouvements de caméra « tremblés ». Leur grande force vient cependant de leur écriture, et de leur discours : au-delà de la dénonciation du passé français de l’esclavage, ils revendiquent tous deux un retour à une culture et une spiritualité authentiques, d’inspiration africaine. Les Français apparaissant dans ces films imposent un racisme oppressant. Leurs victimes respectives sont prêtes à sacrifier leur vie pour la liberté. Tout ce que le fascisme déteste.

 

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