Tehachapi

Un documentaire de l'artiste JR, 1h32.

Le film qui m’a plu

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Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet

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En 2015, le « street artist » JR rencontre Agnès Varda dont il connaissait le travail de cinéaste, de photographe et de plasticienne. Une collaboration s’installe entre les deux artistes, elle a 87 ans et lui 32. Tous deux s’intéressent aux personnes auxquelles la société ne s’intéresse pas, Agnès Varda en les écoutant, en les laissant parler et en les filmant, JR en les photographiant et en collant sur les murs leurs portraits en noir et blanc, en grand format. Pour tous deux, une question de regard. Ainsi va naître en 2017, le documentaire « Visages, villages », film qui a été primé et que vous avez peut-être vu.

 

S’intéresser à eux…

 

Agnès Varda est décédée en mars 2019, mais on peut dire qu’elle a transmis à JR le sens de l’écoute, comme en témoigne Téhachapi, le film qu’il a réalisé la même année. C’est à Tehachapi, en plein désert californien, que se trouve l’une des prisons les plus dures des États-Unis. En octobre 2019, JR a obtenu du gouverneur de Californie l’autorisation d’y intervenir, dans le secteur 4 (on y voit des cages grillagées comme pour enfermer des animaux, mais c’est pour des hommes !). La plupart des prisonniers y sont incarcérés depuis de longues années, certains à perpétuité, pour des crimes commis alors qu’ils étaient adolescents, à 14 ans pour l’un ! Les États-Unis représentent 4,2 % de la population mondiale et 20 % des détenus dans le monde, est-il indiqué en début de film. JR, une première fois, rencontre 28 prisonniers auxquels il présente son projet pour la cour de la prison. Ces hommes sont comme des loups ! Guerres entre gangs, chacun montre ses tatouages cachant ou mettant en évidence les blessures reçues. Peu d’espoir de sortir. Pour commencer, l’artiste salue chacun avec une poignée de main et quelques mots, ces hommes ont perdu l’habitude de ces gestes de civilité, ils n’en reviennent pas que l’on s’intéresse ainsi à eux, qu’on les regarde avec bienveillance, eux qui ont commis parfois des abominations. C’est le monde à l’envers ! JR les prendra chacun en photo. Nous assistons à cette opération, il leur explique ce qu’il fait, puis chaque détenu se présente, dit ce qu’il a envie de dire. JR leur demande ensuite de raconter leur histoire devant la caméra. Étonnamment cela fonctionne !

 

… renouer avec le monde des vivants… 

Dira-t-on que l’audace innocente de l’artiste, qui entre sans peur et sans gilet pare-balles dans ce lieu, y est pour quelque chose ? Deux semaines plus tard, ces portraits grand format-chacun constitué de plusieurs bandes- seront collés comme les morceaux d’un puzzle, sur le sol de la cour, par les prisonniers eux-mêmes, en suivant les directives de l’artiste arrivé avec tout son matériel, balais, seaux de colle etc. Quelques gardiens y participent aussi et quelques anciens détenus. JR les a photographiés également, ainsi que la famille de l’un des détenus. Ce projet, les détenus y ont adhéré avec enthousiasme, même le plus redoutable d’entre eux, tatoué d’une croix gammée. On le verra, à la fin, se faire enlever au laser cet emblème sinistre qui ne correspond pas aux valeurs de sa famille, dira sa mère. Moment d’émotion, « C’est un médecin juif qui vous l’enlève », lui dit la dame qui procède à cette opération. Premier pas vers son relèvement. Ce projet, donc, va aider ceux qui étaient socialement morts, à renouer avec le monde des vivants ! Une photo de l’ensemble du collage va être envoyée vers la télévision et grâce à une application, en cliquant sur la photo du visage de l’un ou l’autre des prisonniers, le monde extérieur pourra entendre leurs paroles racontant ce que chacun a souhaité faire connaître, quarante-huit histoires de vie au total.

 

… et recommencer à vivre

 

JR est resté en contact avec les participants de ce projet collectif qui n’a pu se faire que porté par toute une équipe. Les hommes qui y ont participé ont retrouvé l’estime d’eux-mêmes. JR est revenu avec un autre projet : il a photographié les montagnes qui entourent la prison, les photos seront collées sur les murs les faisant ainsi disparaître… Un message est passé : l’art peut aider les détenus à envisager la possibilité de recommencer à vivre dans la cité, ce projet est désormais accessible à de nombreux prisonniers. On demandait à JR dans une interview, s’il était un artiste engagé, il répondit « engagé non, mais engageant », car, dit-il, « mes œuvres soulèvent des questions mais ne donnent pas de réponses ». De la même façon, Agnès Varda disait de leur travail d’artistes : « C’est une réalité dont on témoigne, mais on n’est pas acteur de cette chose-là. » Les artistes, par leurs œuvres, essaient de donner un sens à notre vision du monde. La question est : « Que pouvons-nous partager ? ».

Un film humaniste, porteur d’espérance au milieu de la nuit !

 

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