© Angelika Krause
Par David Steinwell
Un jeune qui se préparait à la Confirmation dit un jour à son pasteur : « Je n’éprouve rien de spécialement beau et je n’aime pas forcément les gens, donc je ne pense pas avoir la foi ». Ce à quoi le pasteur répondit : « Qu’en sais-tu réellement ? ».
En quoi des actes sont-ils bons ?
Il est admis que « l’on reconnaît l’arbre à ses fruits » (Mt 12.33). L’expression biblique est même passée dans la conscience collective sous la forme d’une évaluation quasi systématique de la foi par les actes et les émotions qu’elle engendre. Les personnes qui pratiquent la bienveillance, la solidarité ou la prière seront donc plus naturellement considérées comme vivant une foi profonde. Pourtant, la question du jeune catéchumène ne se résout pas dans cette évaluation, même si elle est partagée par beaucoup dans la société.
Car plusieurs questions se posent concernant les œuvres issues de la foi. Par exemple qui peut faire la différence entre le joli et le beau, entre ce qui est bien et ce qui est bon ? Évaluer un fruit ou un acte est complexe, car il peut être beau et aussi toxique qu’une amanite phalloïde, la beauté relevant alors d’une esthétique parfaite et dangereuse. Autant le joli, le bien, le goûteux relèvent de catégories humaines d’appréciation, autant le beau ou le bon sont d’une autre nature plus spirituelle, révélant quelque chose de la vocation de l’acte. Qu’il soit beau ou bon pour quelqu’un ne veut pas forcément dire qu’il corresponde aux canons esthétiques ou aux critères opérationnels de ce monde. Poser une limite à quelqu’un peut être bon, sans être forcément facile à accepter.
Inverser, c’est trahir
Une autre question se pose, lorsque des personnes retournent la proposition de l’Évangile pour évaluer son contraire. On entend fréquemment dire jusque dans les Églises que si des actes bons désignent la foi, alors des actes mauvais impliquent l’absence de foi. C’est un peu ce que fait le catéchumène en reconnaissant que son absence de ressenti ou d’amour implique qu’il ne croit pas. Mais il y a une question de logique : que la foi engendre des actes bons n’implique pas que les actes mauvais désignent une absence de foi. En insultant presque Dieu dans sa souffrance, le prophète Job vivait sans doute une foi réelle.
Se mettre en mouvement
La Bible dit autre chose. « On reconnaît l’arbre à ses fruits », et non les fruits à l’arbre. C’est donc l’arbre qui est important. Dans la société agricole de l’époque, chacun sait qu’un arbre ne peut être identifié si on ne regarde pas son écorce, ses feuilles, son fruit. La question n’est donc pas de critiquer l’arbre sous prétexte que ses fruits ne seraient pas conformes à ce qu’on en attend, mais d’identifier cet arbre.
Lorsque Luther ou Calvin désignent l’être humain comme pécheur, ils signalent que nul être ne peut porter de bon fruit par lui-même, qu’il vive ou non la foi. Identifier l’arbre, c’est identifier à travers les actes de quels maladies ou blocages il est porteur. Et finalement quelle parole annoncer à l’être humain qui les accomplit, pour qu’il vive sous la grâce et que de bons fruits apparaissent. Il s’agit ici de dépasser les constats et de remettre l’humain en mouvement. Cela se fait par la question constamment renouvelée : est-ce que mes actes traduisent bien ma foi ?
Dire que la foi n’existe pas parce que les actes ne semblent pas bons ou peu développés, ce serait nier la réalité humaine. Dans les faits, nul ne peut dire qui a ou non la foi. La réponse du pasteur au catéchumène est peut-être la seule possible : « qu’en sais-tu réellement ? ».