Grain de sable
En racontant la persécution des juifs sous le règne de Xerxès, le livre d’Esther ne fait pas de la haine une force mystérieuse et inexplicable. Il ne prétend pas non plus l’expliquer par le comportement des juifs qui les séparerait et les opposerait aux autres peuples.
Un orgueil blessé
On peut lire : « Il y a un peuple à part. Ils sont partout, infiltrés parmi tous les peuples, dans toutes les provinces de ton royaume, leurs lois les distinguent de tout peuple et ils n’agissent pas selon les lois du roi. Il n’est pas dans ton intérêt de les laisser en repos. » (Esther 3.8) C’est l’argument de Haman, qui a déjà décidé de nuire et distille déjà son venin avec un discours qui ne s’est pas beaucoup modifié avec les millénaires dès qu’il s’agit de faire naître la méfiance et la suspicion contre une communauté (hier, les protestants, aujourd’hui les musulmans, encore et toujours les juifs…). Mais la haine qui pousse Haman à propager ce discours prend sa source dans un évènement précis, concret : Mardochée a refusé de s’incliner devant Haman… La haine de Haman naît de son orgueil blessé, d’une limite posée à son sentiment de puissance.
Une affirmation salutaire
Et le livre d’Esther poursuit son analyse : la haine éprouvée par Haman n’aurait pas eu le moindre pouvoir de nuisance sans la complicité du roi Xerxès. Or, la motivation de Xerxès pour accéder aux demandes de Haman est encore plus simple, plus prosaïque : il y a un intérêt financier… Que Haman lui propose de rembourser le manque à gagner, qu’il achète le pogrom ou qu’il compte remplir les caisses du trésor avec l’argent pris aux juifs persécutés ne change rien : la motivation de Xerxès, c’est l’argent.
En racontant ainsi l’histoire d’une haine, le livre d’Esther nous offre aujourd’hui une affirmation salutaire, une espérance et une question.
Tout d’abord il affirme que les victimes de la haine n’en portent pas la responsabilité. Ce n’est pas leur comportement qui est en cause. Cela permet de ne pas céder au blâme des victimes, un réflexe encore bien présent. Mais surtout cela permet de distinguer la haine de la colère. Alors que la haine est un sentiment froid, la colère est une émotion brutale, pas forcément négative puisqu’elle peut être provoquée par une injustice. Si la violence de la mise à mort de Haman au chapitre 7, et surtout celle de ses héritiers au chapitre 10, peut légitimement nous mettre mal à l’aise, cette violence, dans la logique du livre d’Esther, est dictée non par la haine mais par la colère et la justice. Refuser la haine ne veut pas dire sombrer dans l’irénisme d’un monde de Bisounours…
Une source d’espérance
Cette histoire de haine est aussi source d’espérance. En effet, si la haine n’est pas une fatalité, une force aveugle qui conduirait l’être humain, nous pouvons être lucides sur nos frustrations, nos ressentiments et nous rappeler, la capacité que Dieu enseigne à Caïn : « Le péché est tapi à ta porte, et son désir se porte vers toi ; à toi de le dominer. » (Genèse 4.7) Tu peux éviter de te soumettre à ta frustration, ta jalousie, ta volonté de toute-puissance, tu peux ne pas agir selon ce qu’elles te dictent.
Et il nous pousse à nous interroger : quelles blessures d’orgueil, quels refus de limite sont à la source des haines qui gangrènent notre société, des haines qui nous animent parfois ? Quels intérêts poussent des médias, des politiques, à les diffuser ? Combattons-nous ces haines ou les laissons-nous complaisamment nous dominer ?