Par Anaïs Bolterre, Paroles protestantes
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Pour les habitués du management, l’ennéagramme est une méthode de classification des personnalités, qui a juste le mérite de décrire avec précision des manières de raisonner. Mais cette utilisation moderne est un pâle reflet de ce que fut la pratique spirituelle de certains sages, qui prônaient l’altérité et trouvaient une chance dans la non-compréhension de l’autre.
Valoriser la différence
Si nul ne connaît l’origine exacte de l’ennéagramme, on sait qu’il puise ses racines dans la sagesse hindoue antique, environ un millénaire avant notre ère. Quelques traces laissent penser que cette pratique est passée en Perse puis en Mésopotamie, avant de ressurgir dans le monde soufi musulman aux alentours des années 800. Ce manque de précision des lieux et des dates est typique de la transmission orale et d’une discrétion souvent de rigueur lorsqu’il est question d’études spirituelles ou de sagesse de groupes d’initiés.
On pense que ces sages antiques avaient remarqué les soucis de comportement entre les êtres humains et leur propension à se battre sur les différences de leurs pratiques. On sait en revanche qu’ils avaient aussi saisi que l’union entre les hommes était possible, dès lors qu’on regardait au fond des âmes et non à la surface des doctrines et des rites.
L’observation de terrain permet de constater que les membres d’une paroisse ne sont pas sensibles aux mêmes expériences. Pour certains, l’important sera la fidélité à Dieu et à une approche théologique, là où d’autres valoriseront l’inspiration et la prière, considérant parfois l’Église comme un simple cadre. D’autres encore seront plus attachés à la vie de communauté, la rencontre et la solidarité du groupe. Les trois approches ne sont pas exclusives, mais complémentaires. En d’autres termes, les différences de croyances et de sensibilités, puisqu’elles sont naturelles à l’être humain, doivent pouvoir se conjuguer pour qu’une fraternité réelle s’exerce dans la communauté.
Rechercher la spiritualité de l’autre
Il ne s’agit donc pas, au sein d’une paroisse comme dans la société, de cohabiter avec des personnes différentes, chacune reconnaissant le droit de l’autre à exister. Cela serait simplement une affaire de tolérance. Il ne s’agit pas non plus d’accepter la différence de l’autre comme étant légitime, ce qui reviendrait à dire que l’expression de la pleine vérité est la somme des points de vue. La spiritualité personnelle n’est en effet pas la partie d’un tout qui doit être complété par l’avis des autres dans une sorte de syncrétisme universel. Il s’agit de bien plus, de rechercher la spiritualité de l’autre et la force qui le fait vivre et que je ne comprends pas. Car c’est lui qui a raison et qui est dans le vrai. Autant que moi. Mais lui seul est capable de me mettre en chemin vers Dieu, car lui seul possède, par sa différence souvent incompréhensible, la capacité de me décentrer de moi-même.
En portant, par l’ennéagramme, leurs observations à un haut degré de spiritualité, les sages ont apparemment réussi à briser durant un temps le cercle infernal de la non-acceptation de l’autre et de la guerre. Ils ont défini en quelques traits une infinité de combinaisons possibles, susceptibles d’aider les personnes à se rendre compte de ce qui peut les rendre immobiles ou les faire souffrir, puis comme les rois mages dans l’Évangile, leur permettre de « retourner chez eux par un autre chemin ». En ce sens, l’ennéagramme fut il y a longtemps une éducation à l’altérité, que des religions se sont transmise.