Lire et vivre la Bible
Par David Steinwell
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Autant le dire d’emblée, la vérité absolue n’existe pas en matière de traduction, et traduire ne peut se faire sans trahir un peu. Il est pourtant des versions avec lesquelles on s’entend mieux parce qu’elles paraissent plus parlantes.
L’impossible exactitude
À la base, il y a le texte original en hébreu pour l’Ancien Testament et en grec pour le Nouveau. Mais déjà à ce stade rien n’est simple. Car les copistes ont parfois laissé passer des coquilles ou bien il existe plusieurs versions d’un même texte ancien émanant de communautés différentes. Et puis un même texte écrit initialement en hébreu a pu être traduit pour la diaspora juive du bassin méditerranéen, comme ce fut le cas de la Septante à l’époque où la langue universelle était le grec. Les spécialistes tentent d’harmoniser les phrases en fonction du contexte et des différentes phases de l’écriture. L’exactitude absolue n’est donc pas tout à fait possible pour définir un texte originel.
Il faut ajouter à cela que le monde latin ayant supplanté le grec, saint Jérôme retraduit l’ensemble de la Bible en latin à la fin du ive siècle, à la demande du pape Damase. Peut-être était-ce une manière de reprendre la main alors que différentes versions circulaient déjà en latin, chacune interprétant le texte à sa manière.
La multiplication des sens
Saint Jérôme lui-même, tout en défendant ardemment la diversité de traduction qui permet d’enrichir la lecture d’un texte, proposera la traduction qui servit de référence durant les siècles futurs. Il connaissait bien sûr l’hébreu et savait la manière juive de lire les textes, qui recherchait une multitude d’interprétations suivant les significations de chaque mot et la place des lettres. De ce fait il savait mieux que personne à l’époque qu’un mot hébreu et un mot grec ou latin ne correspondent pas tout à fait. Le grec et le latin, langues précises aux phrases linéaires, ne peuvent pas rendre pleinement compte de l’hébreu, dont chaque mot est polysémique. À titre d’exemple, parler d’un « Dieu unique » là où l’hébreu contient aussi le sens d’un « Dieu Un » est forcément réducteur. Dans un cas, l’humain est appelé à respecter l’unicité de Dieu, dans l’autre il est invité à unifier sa vie et sa foi à l’image de son Dieu. Les traductions effectuées par Luther, Osterwald ou ensuite Segond se sont toutes penchées sur les interprétations des textes hébreux pour l’Ancien Testament et grecs pour le Nouveau, afin d’éviter la sur-traduction d’une source textuelle qui aurait elle-même été une interprétation et proposer une compréhension plus proche des origines.
Une lecture qui fait vivre
Y a-t-il donc une bonne traduction de la Bible ? On pourrait penser que la traduction œcuménique (TOB) est la meilleure car elle résulte de discussions entre catholiques, protestants et orthodoxes. Mais les compromis consentis à une version unique tendent forcément à aplanir certaines aspérités théologiques. D’autres éditions se fondent aujourd’hui sur une lecture orale soucieuse de tournures directement compréhensibles par le public pour être proclamées en chaire. D’autres encore s’adressent aux enfants, aux jeunes ou à des catégories particulières de la population et utilisent moins de mots ou de styles grammaticaux.
L’essentiel ne semble donc pas de trouver la traduction la plus exacte, mais celle qui aide à vivre. Car l’écueil sera toujours de choisir un texte en fonction de ce qu’on veut lui faire dire, ce qui favorise l’immobilisme de la pensée et de la foi. Au contraire le texte qui fait vivre ne serait-il pas celui qui décale, interpelle, met en route ? Là serait la bonne traduction pour le lecteur.