Grain de sable

© Élisabeth Renaud
Par Agnès Lefranc, pasteur à l’Église protestante unie d’Orléans
J’imagine que celui qui a écrit ce psaume devait être quelque part dans la région de Babylone, en Mésopotamie, dans les années 580 avant notre ère, déporté loin de sa terre, après avoir vu de ses yeux la ville de Jérusalem prise par les Babyloniens, et le temple détruit. J’imagine son désarroi, son incapacité à comprendre le sens de cette épreuve… Dieu les aurait-il abandonnés ?
Dieu bénit son peuple
Dans le psaume 80, celui qui parle compare le peuple d’Israël à une vigne. L’histoire de cette vigne qu’est le peuple se déploie, dans le psaume, en trois temps. Le premier temps, c’est celui de la transplantation. La vigne, installée en Égypte, est transplantée par le Seigneur. Le peuple d’Israël, arraché à l’esclavage, est conduit sur la terre promise, offerte par le Seigneur. Le second temps, c’est celui de la croissance. Et la croissance de cette vigne a quelque chose de surnaturel ! Son ombre, dit le texte, couvre les montagnes, et ses branches rivalisent de hauteur avec les cèdres ! Il y a là une manière imagée de dire que Dieu bénit son peuple, qu’il le bénit avec abondance. Le troisième temps, c’est le temps de la destruction. Cette vigne tellement prospère, tellement vigoureuse, est attaquée de toutes parts. Il y a là bien sûr une image de ce que vit le peuple : l’invasion, par un ennemi hostile, les lourds impôts à payer à l’envahisseur, les villes détruites, les populations jetées sur les routes. Dans son cri, le psalmiste n’hésite pas à rendre le Seigneur responsable de cette situation : pourquoi permet-il ainsi la destruction de cette vigne qu’il a tant choyée ? Tout cela resterait bien sombre et triste, s’il n’y avait dans ce psaume un refrain : « Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés. ».
Se retourner et changer de direction
Le psalmiste demande à Dieu de faire revenir son peuple sur sa terre, de le ramener à Jérusalem, de rétablir la situation. Et on le sait, cette prière sera exaucée, puisqu’une partie du peuple reviendra, grâce à Cyrus, roi de Perse, qui autorisera le retour des déportés sur leur terre. Mais ce refrain a un sens bien plus profond que cela. Car le verbe traduit ici par « revenir », c’est le verbe « shouv » en hébreu, qui veut dire « faire demi-tour, se retourner ». Et la Teshouvah, dans tout l’Ancien Testament, et encore pour le judaïsme aujourd’hui, c’est quelque chose de fondamental. Faire Teshouvah, c’est se retourner, changer de direction, c’est renoncer à ce qui nous entraîne dans une mauvaise direction. Faire Teshouvah, c’est retourner vers Dieu, c’est se réconcilier avec celui à qui je ne parlais plus, c’est rendre ce que j’ai pris alors que je n’aurais pas dû, c’est demander pardon à celui que j’ai blessé. À travers ce refrain, le psalmiste reconnaît qu’il a besoin de Teshouvah, de conversion ; qu’il s’est probablement éloigné de son Dieu, et que la situation dramatique dans laquelle il est n’est peut-être que la conséquence de cet éloignement. Mais il dit aussi son incapacité à revenir de lui-même, sa difficulté à se convertir en profondeur. Car ce n’est pas à coup de bonnes résolutions que l’on change de vie, que l’on renonce à ce qui est mauvais… non, la Teshouvah, la conversion, c’est une grâce, c’est un cadeau que l’on reçoit de Dieu lui-même. « Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ! ».
Au cœur du psaume, revenant trois fois, ce refrain ouvre un passage dans les impasses qui sont les nôtres. « Seigneur, nous sommes déchirés par ce que nous subissons, nous nous sentons abandonnés… mais nous reconnaissons que nous avons besoin de changer de regard, d’être transformés de l’intérieur. Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ! ».