Par Pascal Lefebvre, pasteur à Bordeaux
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Dieu a envoyé son fils dans le monde comme un « cadeau » fait à l’humanité. Enfin, un « cadeau » qui mérite qu’on s’y intéresse de plus près et qu’on suive la voie de celui qui l’a incarné. Car – objectivement – notre monde vit le plus souvent à contre-courant de cette voie de salut ouverte par le Christ et de ses mots d’ordre : compassion, pardon, paix, justice, gratuité, don de soi, service.
Une autre Pentecôte ?
Face à cette fête traditionnelle de Noël, devenue parfois superficielle et consumériste, une question se pose. Faut-il continuer à la voir comme l’anniversaire de la naissance de Jésus, qui n’est sans doute pas né un 25 décembre, ou ne faudrait-il pas davantage la considérer comme une autre fête – une autre déclinaison – de la Pentecôte, comme la manifestation centrale de l’Esprit de Dieu ?
Souvenons-nous, en effet, que pour entrevoir la manière dont les Évangiles ont été écrits, il faut les lire à rebours, de la fin vers le début : tout commence à Pâques ! C’est un retournement. Le maître enseignant, thaumaturge et contestataire, d’abord écouté et suivi, puis trahi, abandonné, renié et tué, apparaît, contre toute attente, comme « vivant » après sa mort sur la Croix. Il se donne à voir à de nombreux témoins (1 Corinthiens 15.6). Les disciples passent « du désespoir à l’espérance », « de la peur à la confiance » (comme le dit aussi la belle déclaration de foi de l’Église protestante unie de France).
Les apparitions de Pâques font dire aux disciples que Jésus était bien le Christ, le porteur de l’Esprit de Dieu. S’il l’était dans un corps glorifié, il l’était également au moment de sa mort. Ce qui incite les évangélistes à mettre cette affirmation dans la bouche du centurion romain, après la crucifixion : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Marc 15.39). Mais s’il était bien le Christ au moment de sa mort (un Christ scandaleusement crucifié), il l’était bien durant toute son existence : au moment de l’expérience spirituelle de la Transfiguration, lors des guérisons qu’il a opérées, et depuis son baptême. Dans l’Évangile de Marc tout débute là. Lors de son baptême, Jésus est adopté, choisi par Dieu, et il reçoit l’Esprit saint (Marc 1.9-11).
Dès lors, pourquoi penser que Jésus serait seulement devenu le porteur de l’Esprit avec son baptême ? Ne l’était-il pas déjà dans sa jeunesse (lors de sa présentation au temple), et même depuis sa naissance, et – mieux encore –, avant cela : depuis sa conception ? D’où l’idée que ce qui a été engendré en Marie vient de l’Esprit saint (Matthieu 1.20 ; Luc 1.35).
Cet enchaînement logique et rétrospectif dit quand même une chose : personne ne sait vraiment quand Jésus est devenu le Christ, le porteur de l’Esprit. Était-ce au moment de son baptême (Marc), au moment de sa conception (Matthieu et Luc) ou de toute éternité (Jean) ? L’évangéliste Jean, en effet, s’appuie sur une autre tradition. Pour lui, le Logos préexistant (le Verbe divin) a dressé sa tente et s’est manifesté en Jésus (Jean 1,14). D’où la doctrine de l’Incarnation, qui est en réalité une confession de foi : Jésus est la manifestation centrale, l’incarnation du Fils/du Logos (qui existait de toute éternité auprès de Dieu).
Aussi, en lisant les quatre Évangiles – et si on fait abstraction de la doctrine trinitaire plus tardive, puisqu’elle date de trois siècles après la rédaction des Évangiles – on ne sait pas très bien qui s’incarne en Jésus : est-ce la Parole (selon Jean) ou est-ce l’Esprit (selon les synoptiques), ou sont-ce les deux, l’Esprit et la Parole de Dieu (si on veut harmoniser les quatre Évangiles) ?
Naissances
Cela nous amène à une réflexion anthropologique. Car la même question se pose pour tout être humain. Sommes-nous « enfants de Dieu » depuis notre naissance ou le devenons-nous par notre baptême ? Pour certains Pères de l’Église, l’être humain est « corps, âme et esprit ». Ce qui signifie que la dimension spirituelle est une donnée anthropologique innée. Si Dieu est Esprit (Jn 4.24) et si l’esprit (avec un petit « e » − soyons modestes !) est une part – une dimension – de l’être humain, cela pourrait vouloir dire que nous sommes un peu « à l’image de Dieu » (Gn 1.27) et que nous sommes conçus, dès le départ, pour accueillir le divin en nous.
Mais, en même temps, dans un entretien avec Nicodème (Jean 3), Jésus souligne qu’il n’y a rien d’automatique, ni de systématique. Il faut que le croyant naisse de nouveau, naisse d’en haut. Il y aurait donc une seconde naissance à accueillir, qui est d’ordre spirituel. Celle-ci serait donc acquise (à accepter) et non innée. Ou alors, les deux pensées sont-elles, en réalité, complémentaires : sommes-nous prédisposés ontologiquement (dans notre « être ») à accueillir l’Esprit (le Souffle divin) et faut-il, en même temps, l’accepter consciemment, pour que cette dimension spirituelle puisse se développer ? On le voit bien, la problématique est un peu similaire à celle de Jésus : est-il devenu « le porteur de l’Esprit » au moment de son baptême ou l’était-il depuis toujours, dès sa conception ?
Finalement, il faut peut-être avouer que nous n’en savons rien, et que cette histoire de « naissance » aussi bien à Noël (pour Jésus) que n’importe quel jour (en ce qui nous concerne) est avant tout une question de « conscience ». C’est une bonne chose d’accueillir la fête de Noël, en se souvenant de la naissance du Messie et de sa venue dans le monde, mais cela n’a vraiment de sens que s’il s’agit de la manifestation du spirituel (de la présence de Dieu) dans notre histoire. Puisque cette advenue de l’Esprit est signe de l’émergence de quelque chose de vraiment nouveau pour notre humanité.
C’est la même chose, aujourd’hui encore : nous pouvons laisser de la place à Dieu dans notre existence, et laisser l’Esprit naître et s’épanouir en nous. Alors notre vie en sera certainement transformée. Si Noël est seulement un anniversaire de plus ou une vieille histoire qu’on raconte aux enfants, ce n’est pas grand-chose. Par contre, si cette fête est un rappel – ou une prise de conscience – que Dieu peut agir aussi en nous, dans notre intériorité, pour nous influencer positivement et changer les cœurs, alors elle peut déboucher sur la venue de quelque chose « de bon, de beau, de meilleur » dans notre réalité.
Le miracle de Noël, il y a vingt siècles, c’est que l’Esprit de Dieu s’est pleinement manifesté dans la personne et la vie de Jésus. Le miracle de Noël, aujourd’hui, c’est que cette histoire continue. Elle ouvre encore notre propre histoire, dans laquelle Dieu peut « s’infiltrer » et faire « toutes choses nouvelles » !