Quand la vie se dit entre les mots

La tristesse du jeune homme riche ou la difficulté pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille signalent au lecteur de l’Évangile où peut se situer la réalité d’une vie spirituelle, au-delà de l’impossible.

Grain de sable

Marc 10

 

Par Hermann Grosswiller, Paroles protestantes

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Ayant observé tous les commandements, celui qui se tient devant Jésus demande comment faire pour obtenir une vie d’éternité. Cette simple phrase contient à elle seule la possible vanité de l’être humain : remplir son existence de certitudes, de réalisations à accomplir, d’échanges de bons procédés, de désirs à assouvir, de buts à obtenir.

 

Une certaine impuissance des mots

 

Bien sûr, la réponse de Jésus sera placée sur le dessaisissement : « Vends ce que tu as. » Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour annoncer cela ; la simple humanité suffit à le dire et à ce que l’homme s’en aille tout triste. Mais la force de ce récit est contenue dans une brève expression : « Il le regarda et il l’aima ». Si rien d’essentiel n’est dit durant la conversation et les paroles échangées, tout se passe dans un jeu de regard et de profondeur.

 

On reconnaît habituellement que plus de 80 % de la communication d’une personne passe par le non-verbal et que les mots échangés ne constituent souvent qu’un support pour la communication réelle, celle du corps et des attitudes. Au téléphone par exemple, la tonalité de la voix et sa vibration renseigneront davantage sur l’état de fatigue ou la joie d’une personne que les mots qu’elle trouvera pour l’exprimer.

 

Une paroissienne témoignait de ce que le culte lui offrait, une fois dans la semaine, l’occasion de faire silence et de vivre autrement. Dans une existence remplie par les devoirs domestiques et le travail à accomplir, le temps de se poser n’existait plus et avec lui la difficulté de prendre un recul suffisant pour trouver du sens à sa vie, ou en tout cas y reconnaître ce sens. L’impression de fuite en avant était constante, dès le matin, même dans sa prière coincée entre deux obligations. Elle avouait ne pas aller à certaines activités d’Église où le but semblait être de la remplir encore davantage de contenu et de réflexion. Elle aspirait au vide, à des interstices de vie.

 

Le petit pas de côté

 

« Il le regarda et il l’aima ». Bien sûr que Jésus avait vu le jeune homme qui lui parlait. Mais ce passage du voir au regarder donne le véritable plan d’une relation possible : il y a, à travers cet échange, de nouveaux horizons qui s’ouvrent. La mention de l’amour donne la profondeur de l’intention et le potentiel qu’elle contient. Il y a dans cette attitude non verbale un message fort que l’homme peut suivre et qui se traduira par le recul à prendre sur sa richesse matérielle. La même intention avait été apportée jadis par Dieu à Caïn miné par la jalousie : « Tu peux dominer sur ton désir ». Mais comme avec Caïn, le regard n’a pas été soutenu, le conseil n’a pas eu de suite, l’amour n’a pas eu de sujet pour se vivre. Pourtant, l’essentiel se disait dans les interstices des mots, dans la faculté de faire un pas de côté dans son existence pour prendre conscience du sens de la vie.

 

Si certains ont besoin de la qualité d’une démonstration et de peser le sens des mots, d’autres – comme cette paroissienne assistant au culte – vivent de l’espace entre les mots et ont besoin que la liturgie ménage des temps de silence ; d’autres encore sont sensibles à l’ambiance. Pour eux, ce sont les interstices de la vie quotidienne qui lui donnent sa force : les discussions de couloir lors d’un synode, quelques minutes prises pour observer une fleur, quelques mots échappés du cœur lors d’un trajet en voiture ou par sms, un regard ou un sourire échangé avec un inconnu, un pain au chocolat dégusté dans une gare entre deux trains… La vie est là, son sens apparaît au détour du chemin et se fait Évangile.

 

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