Par Jean Loignon, Église protestante unie de Loire Atlantique
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Une firme française avait acquis une filiale britannique du groupe Boots qu’elle a considérablement développée, mais en gardant son nom d’origine, celui de la femme de Moïse, figure centrale de l’Ancien Testament. Ce choix traduit peut-être une plus grande familiarité avec l’univers biblique chez nos voisins britanniques que ne partagent pas spécialement les Français et les Québécois.
Une des sept filles de Jéthro
Le personnage de Séphora, transcrit également de l’hébreu en Tsipora, est l’exemple même de pépite biblique. Objectivement, nous avons toutes les raisons de ne pas la connaître, car elle n’est citée nommément que trois fois dans l’Ancien Testament, exclusivement dans le livre de l’Exode (ch. 4), à quoi s’ajoute une mention énigmatique dans le livre des Nombres qui la désignerait comme Kouchite, autrement dit noire.
Séphora est l’une des sept filles de Jéthro, peuple nomade madianite et païen, auprès duquel Moïse trouve refuge après avoir tué un Égyptien qui maltraitait un Hébreu. L’identité du « sauvé des eaux » adopté par la fille du Pharaon est alors partagée entre son statut privilégié et sa solidarité envers son peuple asservi.
La rencontre de Moïse avec Séphora se fait autour d’un puits, où il la défend avec ses sœurs contre des bergers agressifs. Les jeunes filles vantent le courage et le savoir-faire de Moïse auprès de leur père qui décide de donner à Moïse Séphora comme épouse. Le couple aura deux fils : Gershom et Eliezer.
Une heureuse initiative
C’est plus tard que Séphora sort de ce rôle pour le moins passif en accompagnant Moïse dans sa mission divine de libération du peuple hébreu. Moïse retourne en Égypte avec femme et enfants, en vue d’un affrontement avec le pharaon. En chemin, il est mystérieusement agressé par le Seigneur (pour l’éprouver ?) et c’est Séphora qui lui sauve la mise en prenant l’initiative de circoncire leur fils Gershom avec un silex. Elle asperge de sang les pieds de Moïse dans un geste rituel de protection qui n’a pas grand-chose à voir avec la circoncision juive prescrite par la Torah. Moïse est sauvé et peut avec son frère Aaron accomplir sa mission.
C’est tout. L’autre passage en Exode 18.2-5 mentionnant Séphora la montre à nouveau dans un rôle passif, renvoyée chez son père par Moïse sans que l’on sache pourquoi.
Ce sont donc seulement deux versets laconiques (Ex 4.25-26) qui révèlent toute la personnalité de Séphora : celle d’une femme qui exécute de sa propre initiative un geste exclusivement masculin – la circoncision – en reliant un rite païen au judaïsme en formation. Séphora rejoint ainsi la cohorte de ces femmes étrangères mais vivant à la périphérie du peuple juif – Rahab, Ruth, plus tard la Syro-Phénicienne qui fit la leçon au Christ – et qui adoptèrent la foi monothéiste, avec ce que cela supposait de transgression par rapport à leur milieu d’origine.
Le geste de Séphora pour son mari Moïse a ouvert modestement mais de façon décisive la voie de la libération des Hébreux d’Égypte. Le salut d’Israël peut donc venir de franges croyantes inattendues, où les femmes prennent toute leur place. Puisse cette histoire retentir encore aujourd’hui dans le désert que parcoururent Moïse et Séphora.
* Cet article doit beaucoup au parcours proposé par Théovie Des femmes dans la Bible.