La Saint-Barthélemy – Faites entrer les accusés – Volet 6

Après avoir écouté les historiens, scruté les sources, voici venu le temps de la plaidoirie, du moins celle de l’avocat général que je suis devenu. Mais c’est vous, tels des jurés, qui vous forgerez votre intime conviction. Après plusieurs analyses des sources, il est temps de donner mon point de vue. Mais je laisserai également la parole à mes contradicteurs, dont les propos apparaîtront sur fond gris, évitant ainsi un procès à charge ou à décharge. Il nous faudra répondre à trois chefs d’accusation. Qui a orchestré l'attentat manqué ? Qui a demandé l’exécution de Coligny ? Qui a organisé le massacre proprement dit ?

Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
6e volet

Les acteurs de la Saint­Barthélemy – détail du tableau de François Dubois. On peut reconnaître de nombreux acteurs, réels ou supposés, du massacre. 1- Le duc de Guise tenant la tête de Coligny ; 2- Un homme du menu peuple de Paris armé d’un gourdin ; 3- Les pilleurs en pleine action ; 4- Les troupes régulières ; 5- Le duc d’Anjou (?) ©  © Wikimedia Commons

Par Éric Deheunynck

 

La lettre aux gouverneurs est selon moi la pièce maîtresse du dossier. Cet écrit daté du 24 août 1572 émane directement du pouvoir. S’inscrivant dans une démarche habituelle, il informe les gouverneurs et leur donne des ordres. Il est particulièrement précis dans sa description des événements et dans les objectifs du pouvoir. Le roi est spectateur d’un règlement de compte entre deux maisons nobiliaires : les de Guise et les de Coligny.

 

Le pouvoir royal : coupable ou non de l’exécution de Coligny ?

 

La préoccupation est alors de préserver la paix civile initiée par le mariage célébré quelques jours auparavant. Mais cette lettre est en contradiction avec le discours du 26 août qui accuse Coligny. Ce revirement permet en fait au pouvoir de reprendre la main et de demander la fin des massacres. L’objectif est toujours le même. La thèse officielle est un message construit, la lettre aux gouverneurs est un écrit de circonstances. Charles IX doit donc être disculpé.

Il en va de même de Catherine de Médicis. Seuls des écrits tardifs polémiques l’accusent. Ils reposent surtout sur des ressorts psychologiques ou machiavéliques. L’étude des sources nous avait déjà amené à écarter ces documents. La lettre de Louis de Gonzague à Catherine de Médicis en personne, présentant la Saint-Barthélemy comme un complot contre le pouvoir royal, innocente de facto la reine-mère et son fils. Les historiens voient aujourd’hui Catherine comme une reine de paix.

Mais des témoignages sur la Saint-Barthélemy font état d’un massacre dans la cour du Louvre orchestré par le pouvoir lui-même. Cette version contredit la thèse que je défends. Jean-Louis Bourgeon évoque une expulsion de nobles protestants pour éviter un assaut du château ou la sédition de soldats mal payés. La question reste néanmoins bien posée : que s’est-il passé au Louvre lors de la Saint-Barthélemy ? Les princes du sang ont eu la vie sauve moyennant abjuration mais pour les autres ? Outre le fait que les témoignages se contredisent, chacun proposant sa version1, ils souffrent pourtant d’une faiblesse majeure. Ce sont des écrits a posterori2, rédigés après le discours du 26 août posant la thèse officielle du complot protestant étouffé dans l’œuf. En toute logique, ils incluent le pouvoir royal dans le processus. Si l’on tue aux abords du Louvre c’est le pouvoir royal qui en a donné l’ordre, si le duc de Guise est présent chez Coligny, c’est sur ordre du roi, si le duc d’Anjou chevauche dans la ville, c’est qu’il participe au massacre… En l’absence d’ordre, la démonstration des historiens consiste à identifier des proches du pouvoir parmi les massacreurs… Démarche suivie par Nicolas Le Roux comme par Jérémie Foa mais leurs soupçons se portent sur le duc d’Anjou !

 

Le frère du roi, futur Henri III, est accusé par certains d’avoir fomenté « un coup d’état intérieur ». Jérémie Foa le soupçonne, mais ses micro-histoires accusent plutôt un autre frère, le duc d’Alençon, qui profite des circonstances pour éliminer un seigneur protestant de ses fiefs. Nicolas Le Roux se fait plus précis en donnant des noms. Mais beaucoup d’entre eux sont également des proches du duc de Guise. Ainsi François de Cazillac-Cessac est chambellan du duc d’Anjou et lieutenant de la compagnie du duc de Guise. Sans oublier que ces témoignages restent des on-dit… aussi nombreux que contradictoires. Le duc est à vrai dire peu présent lors de la Saint-Barthélemy et reste cloîtré dans le Louvre comme le reste de la famille royale. S’il a été vu une fois arpentant les rues de la capitale, c’est probablement pour faire un état des lieux. À cette date-là le duc regarde vers le trône de Pologne. Il cherche à être élu par la diète polonaise où la noblesse protestante joue un rôle majeur. Le massacre arrive au mauvais moment et il faudra toute l’habileté des diplomates français pour défendre la thèse officielle.

 

Le duc de Guise : omniprésent mais décideur ou exécutant ?

 

Le duc de Guise est omniprésent à toutes les étapes mais est-il le décideur ou le bras armé ? Concernant l’attentat manqué un faisceau d’indices convergent vers le duc. Le coup de feu est tiré d’un hôtel loué par un proche du duc. L’auteur du coup d’arquebuse, Maurevert, s’enfuit, mais est poursuivi par la suite de l’amiral. Il se réfugie dans un château appartenant à un proche du duc… En criant justice ou vengeance, les Huguenots explicitement ou implicitement visent le duc de Guise. Lors de l’exécution de Coligny, le duc est présent à l’hôtel de Ponthieu pour vérifier l’identité de la première victime de la Saint-Barthélemy. Sa présence qui fait consensus conduit à conclure pour les contemporains comme pour certains historiens à une alliance entre le duc et le roi. Quant au rôle du duc lors du massacre, la situation devient plus confuse. On peut néanmoins noter une proximité entre les massacreurs et le duc. Henri de Guise délivre les laissez-passer qui permettent de quitter la capitale… parmi les vies épargnées celle de sa grand-mère, Renée de France, protestante venue à Paris pour le mariage princier. Ce dernier point indique a contrario que le duc n’a pas anticipé le massacre.

 

Les Parisiens : quel niveau de responsabilité ?

 

L’implication de certains Parisiens lors de la Saint-Barthélemy est indéniable. Le peintre François Dubois représente la populace armée de gourdins et les pilleurs venus se servir dans les maisons des Huguenots assassinés. Jean-Louis Bourgeon accuse de faillite les élites bourgeoises, en particulier le magistrat (la municipalité). Mais c’est Jérémie Foa qui a permis de clarifier le rôle des Parisiens en particulier celui des capitaines de la Milice. Ces derniers assurent l’ordre dans la capitale, ont des hommes sous leurs ordres. Ils connaissent les lieux, reconnaissent leurs victimes et font partie des catholiques zélés de la capitale. Leur rôle est indéniable, mais comment est-on passé d’un assassinat ciblé à un massacre généralisé ? C’est l’enchaînement des événements et les mobiles des différents acteurs qui nous donneront la réponse.

 

1 Il est ainsi impossible de donner le nom de celui qui a tué Coligny, tant de noms circulant.

2 Jean de Mergey et Marguerite de Valois, au Louvre le jour de la Saint­Barthélemy, sont des témoins oculaires. Mais leurs mémoires sont écrits 20 à 30 ans après les événements sous le règne d’Henri IV… et sont contradictoires !

 

Prochainement : Mon scénario, ombres et certitudes.

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