La Saint-Barthélemy – « Mon » scénario, ombres et certitudes – Volet 7

L’histoire n’est pas seulement une enquête mais également un récit. Fort des conclusions tirées précédemment, je vous propose « mon1 » scénario avec ses certitudes et ses parts d’ombre. Il s’agit de comprendre l’enchaînement des événements, d’identifier les acteurs et leurs mobiles, de rendre la Saint-Barthélemy intelligible.

Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
7e volet

 

Le serment d’Henri de Guise (1864), œuvre de Pierre-Charles Comte. Anne d’Este et son fils en tenue de deuil regardent un tableau de l’assassinat de François de Guise. Ce tableau dans le tableau est inspiré d’une gravure de Tortorel et Perrissin. La veuve fait jurer à son fils de venger son père assassiné. Henri saisit son épée en signe d’approbation © Château de Blois

 

Par Éric Deheunynck

 

Un faisceau d’indices converge vers le duc de Guise, du moins le clan des Guise, car il est impossible de connaître le niveau de décision. J’en suis donc réduit aux hypothèses.

 

L’attentat manqué

 

Première hypothèse : un petit groupe proche du duc décide de fomenter un attentat contre Coligny, « un attentat contre la paix ». La politique de concorde initiée par le mariage, voulue par le pouvoir royal, se trouve de facto fragilisée.

Deuxième hypothèse : on peut aussi imaginer que l’ordre vienne du duc lui-même, qui ne manque pas de mobiles. Outre la remise en cause de la politique de pacification, il a des comptes personnels à régler avec l’amiral qu’il accuse d’avoir fait assassiner son père.

Troisième hypothèse : on peut également voir la main de l’Espagne. Le duc devient alors son bras armé. Il s’agit dans ce cas de couper court aux intrigues françaises aux Pays-Bas espagnols en révolte. Coligny en est l’ardent défenseur et déjà des Huguenots y ont pénétré.

J’avoue que la troisième hypothèse me séduit le plus mais il est impossible de trancher, les sources sont muettes, y compris les archives espagnoles de Simancas.

 

L’exécution de Coligny

 

L’attentat manqué place le duc de Guise dans une position délicate. Il est immédiatement soupçonné. La justice royale est certes lente mais les Huguenots se font menaçants et crient vengeance. Henri de Guise est sur la défensive. Il faut passer à l’action rapidement. Agir de nuit permet de jouer sur l’effet de surprise. Affirmer que c’est un ordre du roi permet de désarmer littéralement les soldats censés défendre l’amiral. C’est également un moyen de légitimer son forfait. Au matin du 24 août 1572 le duc vient assassiner l’amiral et ses proches. Le parti huguenot est décapité. C’est un coup de force, une « sédition » contre le pouvoir royal. Mais c’est aussi la politique du fait accompli dans une ville où il compte de nombreux partisans. Le duc n’hésitera pas à renouveler ce type de manœuvres en particulier en 1588 lors de la journée dite des barricades.

 

Le massacre proprement dit

 

Arlette Jouanna se posait la question. Ce massacre n’est pas prémédité mais les massacreurs sont prêts ! Denis Crouzet spécialiste de l’imaginaire religieux et Jérémie Foa par son approche pratique du massacre ont donné l’explication.

Les combats qui se déroulent autour de la maison de Coligny jouent le rôle d’un détonateur. Les catholiques les plus zélés, en particulier les capitaines de la milice bourgeoise, y voient un signe. Dans l’imaginaire religieux du moment, le combat final contre l’hérésie est attendu. Le protestant est autant une souillure qu’une menace. « Le tocsin pour un massacre » annonce un danger. Le combat eschatologique, celui de la fin des temps, vient de commencer. Mais tout se joue localement et il n’est pas question qu’un capitaine vienne dans le quartier du voisin. Le duc de Guise peut juste jouer sur ses sympathies pour délivrer des sauf-conduits permettant de franchir les portes de la ville. La dynamique de la violence nourrie par dix années de guerres civiles est à l’œuvre, ce que confirment les Saint-Barthélemy en province. Les éléments les plus radicaux, au sein des milices bourgeoises ou du Magistrat (la municipalité), fomentent les massacres à Lyon, Orléans, Rouen, Toulouse… tandis que d’autres villes restent calmes.

Qui a donné l’ordre ? Finalement, personne. C’est une dynamique, un jeu d’acteurs avec leurs propres motivations, des actions et des réactions qui conduisent à la Saint-Barthélemy… un peu comme pour la Révolution française ou la Première Guerre mondiale. L’événement fait irruption dans l’Histoire, délimitant un avant et un après. Notre série s’interrompt lors des vacances d’été, mais à la rentrée nous nous intéresserons à l’après-Saint-Barthélemy, en particulier aux représentations du massacre… jamais neutres.

 

 

1 Le pronom « mon » invite à la modestie. « Mon » scénario reste un point de vue, même s’il s’appuie sur des sources, comme la Lettre aux gouverneurs et la Déclaration au Parlement, dont les contradictions expliquent la confusion des sources. La revue L’Histoire du mois de juin sous-entend néanmoins une proscription d’origine royale, mais les divergences d’interprétation concernent plus l’avant massacre que le massacre proprement dit. Un consensus commence donc à émerger.

 

Prochainement : Représenter la Saint-Barthélemy, donner sens au massacre.

Lire l’article précédent.

 

Pour aller plus loin

La Saint-Barthélemy, les mystères d’un crime d’État, Arlette Jouanna,. Gallimard, 2007.

Dieu en ses royaumes : Une histoire des guerres de Religion, Denis Crouzet, Champ Vallon, 2008.

Guerres de Religion, les lieux de mémoire, Éric Deheunynck, Citoyenneté en actes, 2021.

Tous ceux qui tombent, Jérémie Foa, La découverte, 2021.

 

Pour toute remarque ne pas hésiter à contacter l’auteur de cet article : edeheunynck@free.fr

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