Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
8e volet
Par Éric Deheunynck
Le tableau de François Dubois, une œuvre pour protester1
François Dubois représente le massacre auquel il a survécu dans un Paris imaginaire. On peut néanmoins identifier la Seine qui charrie des corps, bordée par le château du Louvre avec ses deux ailes médiévales et la tour de Nesle sur l’autre rive. Complètement à gauche se trouve l’église des Augustins et complètement à droite une colline avec le gibet de Montfaucon. Tous ces monuments ont aujourd’hui disparu. L’impression générale est celle d’une folie meurtrière qui déferle sur la capitale. Des victimes sont dénudées et traînées dans les rues ou jetées à la Seine. Des fuyards tentent d’échapper à leur sort en passant par les toits ou en gagnant la campagne environnante. Des femmes, des enfants et des hommes sans armes sont exécutés par des soldats mais aussi par la population armée de massues. Le sang est partout présent même là où il n’y a pas de victimes. L’authenticité de toute une série de scènes est avérée. Au centre, Coligny, première victime du massacre, est défenestré, puis tête, mains et parties génitales sont tranchées. Le duc de Guise s’empare de la tête de l’amiral qu’il contemple avec satisfaction. À gauche les protestants logés hors les murs réussissent à s’enfuir tandis que la porte Saint-Honoré, fermée pour l’occasion, ralentit les soldats partis à leur poursuite. Le tableau n’est pas une simple description mais aussi un acte d’accusation. La question de la responsabilité est implicitement tranchée par Dubois. Le duc de Guise au centre de la composition est un acteur majeur du massacre, mais la responsabilité royale est aussi dénoncée. On massacre jusque dans le palais du Louvre. Catherine de Médicis contemple un tas de cadavres, tandis que Charles IX tirerait à l’arquebuse d’une tour du Louvre. Leur présence les signale comme responsables suprêmes du massacre. Les protestants furent les victimes du « stratagème de Charles IX ». Pourtant il n’en fut rien. Le pouvoir royal est resté à l’abri des murs du Louvre, impuissant à arrêter le massacre.
La fresque de Giorgio Vasari, une œuvre pour légitimer
François Dubois propose un point de vue protestant, épris de compassion pour les victimes. Vasari a représenté différemment le massacre, sous le signe de la lutte contre les forces du mal. Le pape Grégoire XIII, celui qui a donné son nom à notre calendrier, célèbre l’événement par un Te Deum, une médaille et un ensemble de trois fresques commandé à Giorgio Vasari est toujours visible au Vatican. Le massacre se situe sur la fresque centrale, encadrée par celles qui renvoient à l’avant et à l’après-massacre. La première décrit dans un décor urbain l’attentat manqué contre l’amiral. Coligny blessé est emmené par les siens. Tandis que la fresque de droite représente le roi Charles IX, épée à la main, demandant l’arrêt du massacre lors de la séance au Parlement du 26 août. La foule se rendant à l’église à l’arrière-plan confirme le retour à l’ordre divin après le chaos du massacre qui est décrit sur la fresque centrale. Au premier plan les soldats massacrent des vieillards pour la plupart désarmés. Dans un Paris nocturne leurs arm.es scintillent à la lumière d’une lanterne L’enchevêtrement des corps, la vigueur des coups portés rendent la scène autant chaotique que violente. Ces soldats vêtus à l’antique exécutent impassiblement des victimes terrifiées et impuissantes. Au second plan, le massacre se déroule autour de l’hôtel particulier de Coligny. Des soldats enfoncent la porte avec un madrier tandis que Coligny dévêtu tombe la tête en bas2.
La violence de ces scènes nous fait oublier qu’il s’agit là d’une œuvre de propagande qui non seulement commémore mais aussi légitime le massacre. Le roi réunissant le Parlement donne au massacre une légalité royale. Quant à la violence du massacre, elle est propre au combat du bien contre le mal. Les soldats sont impassibles tels des anges exterminateurs, tandis que les victimes sont laides comme des démons. La défenestration de Coligny dénudé s’apparente à une « chute des damnés ».
Ces représentations répondent certes à des codes d’un autre temps et pourtant les ressorts du massacre restent d’actualité. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé en lisant Jérémie Foa. Le mal était déjà là, tapi au pas de la porte, annonçant les pires tragédies de notre temps.
1 Il faut comprendre le verbe « protester » dans son double sens : exprimer son opposition et prendre à témoin.
2 Les derniers mots attribués à Coligny « Jeune homme, respecte ma vieillesse » pourraient faire le lien entre les deux scènes. Le vieillard incarne désormais l’hérétique.
→ Prochain volet : « Le mal est tapi au pas de la porte », l’actualité de la Saint-Barthélemy.