La Saint-Barthélemy – Espérer malgré tout en Dieu ou en l’homme ? – Volet 10

Cette série consacrée aux 450 ans de la Saint-Barthélemy s’achève avec ce dernier volet dans lequel Éric Deheunynck nous dévoile ce qui se cache derrière le tableau de François Dubois.

Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui

10e et dernier volet

 

Le massacre de la Saint-Barthélemy par François Dubois © Domaine public

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Par Éric Deheunynck

 

Le tableau de François Dubois cache un double message d’espérance, en Dieu et en l’homme. Mais il faut un œil averti pour le discerner.

 

Espérer en Dieu

 

François Dubois ne se contente pas de décrire et d’accuser mais répond à une question centrale pour le protestant : Comment Dieu a-t-il pu laisser faire ? Observons ce tableau. Le regard sur le Paris de la Saint-Barthélemy est plongeant, faut-il y voir le regard de Dieu ? Et surtout approuve-t-il ou non ce massacre ? Une scène au centre de la composition éveille ma curiosité. Deux enfants traînent un nourrisson en direction de la Seine. Denis Crouzet a bien étudié le rôle de ces enfants bourreaux de la Saint-Barthélemy. Leur participation symbolique au massacre est le signe de l’approbation divine. Par leur innocence ils deviennent les instruments de Dieu sur Terre. Ils ont d’ailleurs simulé un procès de Coligny et ont traîné son corps jusqu’à la Seine… ce que François Dubois se garde bien de représenter. Ces enfants traînent plus petit qu’eux, donc plus innocent. De fait Dubois inverse la logique. Dieu est forcément du côté du nourrisson. La Saint-Barthélemy est un nouveau massacre des Innocents. Les protestants meurent en martyrs. On peut même pousser le raisonnement un peu plus loin. Coligny est représenté au moins à trois reprises : défenestré de son hôtel de Ponthieu, émasculé au pied dudit hôtel puis traîné vers le gibet de Montfaucon (cf. le corps décapité traîné par les pieds). On pourrait ajouter la scène où son corps est traîné par des enfants jusqu’à la Seine. Dans ce cas, le nourrisson est l’Innocent Coligny, mort en martyr.

Quelques années plus tard, en 1574, les événements semblent donner raison aux protestants. Le roi, jugé responsable suprême du massacre, meurt dans des conditions bien étranges. Il succombe à une tuberculose en transpirant du sang, le sien bien sûr mais aussi celui des victimes de la Saint-Barthélemy – dit-on -. Dieu vient de rendre son jugement.

 

Espérer en l’homme

 

Le message d’espérance en Dieu s’accompagne d’un message d’espérance en l’homme. Au milieu de cette barbarie, de cet enfer sur terre, Dubois place un homme seul. Il n’est pas un tueur. Il n’est pas une victime non plus. Il n’est pas attaqué et ne tente pas de s’enfuir.  Son arme est restée dans le fourreau. Il semble plutôt horrifié par ce qu’il voit. Son comportement et ses habits rouges en font manifestement un catholique. Dubois a ainsi placé au milieu de la folie humaine, un signe d’espoir en l’homme à travers ce « juste catholique ». Cette espérance fut d’ailleurs réalité. Les justes catholiques ont bien existé mais leurs motivations furent des plus variées. Des domestiques catholiques sauvèrent leurs maîtres protestants en les cachant ou en témoignant de leur catholicité. Les liens personnels peuvent sauver. Nicolas Hector, seigneur de Perreuze, magistrat de son état, abrita une quarantaine de huguenots dans son hôtel particulier. Il était un adversaire des catholiques les plus fanatiques1. Certaines municipalités, comme celle de Nantes, ont protégé les protestants, voyant d’un mauvais œil les « émotions populaires ». Attaquer les bourgeois protestants pourrait donner l’idée de s’en prendre ensuite aux catholiques. C’est pour préserver l’ordre public que le massacre n’a pas lieu, et non par compassion ou tolérance.

La Saint-Barthélemy est le symbole du fanatisme religieux. Pourtant derrière la violence de certains catholiques, d’autres sauvèrent des protestants au péril de leur vie. Peu d’entre nous les connaissent. Le bien ne fait pas de bruit. Pourtant ces petites étoiles dans un ciel noir indiquent un autre chemin, nous racontent une autre histoire. C’est d’ailleurs l’actuel objet d’étude de Jérémie Foa qui s’intéresse désormais aux survivants, à leurs stratégies et à leurs protecteurs, une autre « histoire par le bas » de la Saint-Barthélemy.

 

1 Le face-à-face se renouvelle en 1588. Nicolas Hector est alors prévôt des marchands (équivalent du maire de Paris) tandis que les caholiques radicaux sont devenus les Ligueurs. Il est emprisonné lorsque la Ligue prend le contrôle de la capitale.

 


 

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