La voie de l’étranger pour revenir à la vie

Les deux textes bibliques, Deutéronome 23.4-7 et Ruth 2.11-16 ; 4.13-17, posent la question de la place de l’étranger dans la communauté.

 

Deutéronome 23.4-7 (traduction Nouvelle Bible Segond) et Ruth 2.11-16; 4.13-17

 

Par Bertrand Marchand, pasteur à l’Église protestante unie du Poitou rural ……..

 

Pourquoi nous arrêter sur ces textes alors que nous venons de fêter Pâques, l’événement le plus essentiel de la foi chrétienne ? Parce que la rencontre de l’étranger débouche sur un retour à la vie, une résurrection.

 

Dans le premier texte du livre du Deutéronome, les peuples étrangers, Ammonites et Moabites, sont exclus de façon définitive, irrévocable, de la communauté des Israélites, les descendants du patriarche Jacob-Israël. « Même leur dixième génération n’entrera pas dans l’assemblée du Seigneur », dit le texte, et c’est « pour toujours ». Pour les Israélites, les Ammonites et les Moabites sont même des ennemis à détester : « Tu ne chercheras jamais leur paix ni leur bien-être tant que tu vivras. »

 

La peur de manquer

 

Pourquoi tant de haine ? Le texte parle d’une histoire de pain et d’eau, qui ont fait défaut, et de malédiction. Il s’agit de l’histoire avec les Moabites. Les Israélites ont souffert de la faim et de la soif, alors qu’ils migraient hors d’Égypte, et ils n’ont pas été accueillis par la population du pays de Moab qu’ils traversaient. Nous apprenons également dans le livre des Nombres que les Moabites ont été très effrayés par l’arrivée nombreuse des Israélites qui avaient déjà vaincu d’autres peuples. « Cette assemblée va brouter tout ce qui nous entoure. » (Nombres 22.4). Ils s’effraient du risque de ne plus avoir assez à manger et de disparaître : le grand remplacement. Alors les Moabites ont préféré maudire les Israélites pour essayer de tourner la situation à leur avantage.

 

Quant aux Ammonites, un autre texte de la Bible raconte qu’ils ont fait la guerre aux Israélites, et que les Israélites ont été pressurés et écrasés par eux (Juges 10.6-18).

 

Voilà donc de vieilles histoires qui ont laissé des traces. La rancune s’est installée contre ces peuples. La rancune est née d’une insécurité physique, d’une précarité qui a exacerbé la vulnérabilité des Israélites. Cette dépendance à l’autre a déclenché des émotions mêlées : la colère, la déception, la peur, l’incompréhension ; des émotions qui ont marqué profondément.

 

Une protection et un soutien

 

Dans le deuxième texte, il en est tout autrement. Il s’agit de l’histoire de Ruth, la Moabite. Voici brièvement un résumé de son histoire. Dans le livre de Ruth, nous lisons que Noémi, une Israélite, émigre avec son mari et ses deux fils au pays de Moab pour échapper à la famine. En Moab, le mari de Noémi meurt. Les deux fils épousent des Moabites, puis ils meurent à leur tour. Noémi et ses deux belles-filles se retrouvent veuves, sans protecteurs. Noémi décide de retourner dans son pays. Ruth veut la suivre par fidélité, mais elle se retrouve étrangère parmi les Israélites. Pour Noémi et Ruth, il est question aussi de précarité et de vulnérabilité, Noémi comme veuve, et Ruth comme veuve et étrangère. Maintenant Ruth, l’étrangère, va-t-elle prendre le travail des Israélites ? Va-t-elle prendre leur nourriture ? Quelle place accorder à l’étrangère dans la communauté ?

 

Ruth, l’étrangère, se voit offrir une protection et un soutien par le travail. « Elle mangea, se rassasia et garda le reste », dit le texte. « Laissez-la glaner […] sans l’inquiéter. […] Vous ne la rabrouerez pas. » Ruth, l’étrangère, trouve sa place dans la communauté, au nom de la faveur, de la grâce de Dieu.

 

Une étrangère dans la même lignée que Jésus

 

La faveur de Dieu est telle que par cette étrangère, c’est même la vie qui est redonnée. Une résurrection s’opère chez Noémi par l’intermédiaire de Ruth. Dieu relève Noémi, la « fait revenir à la vie », en lui offrant une descendance par l’intermédiaire de sa belle-fille Ruth, la Moabite, que la loi des Israélites exclut pourtant de la communauté. Et quelle descendance ! Ce fils de l’étrangère s’appelle Obed, c’est-à-dire celui qui sert, qui honore. Obed va servir et honorer Dieu, car il est l’ancêtre du grand roi David, et l’ancêtre de… Jésus ! Et voilà une étrangère dans la lignée même de Jésus, comme le mentionne Matthieu dans sa généalogie, au tout début de son évangile (Matthieu 1.5).

 

Ces histoires nous interrogent aussi sur la place de l’étranger dans nos Églises locales. L’étranger est celui qui n’est pas du sérail protestant, de tradition réformée. Il vient d’une autre culture spirituelle (laïque ou autre), ou d’une autre culture générationnelle, ou d’une autre culture sociale, ethnique…

 

Un chemin inconnu

 

L’étranger est celui qui fait « étrange » dans la communauté. Irait-on jusqu’à dire qu’il fait tache ? Parce qu’il préfère la musique actuelle et pas celle du XVI ou XIXe siècle ; parce qu’il aime que ça bouge ; parce qu’il aime l’interaction ; parce qu’il est à l’aise avec l’image ; parce qu’il s’exprime avec son corps, ou prie volontiers à haute voix ; parce qu’il n’utilise pas exactement le même vocabulaire que moi. Est-ce que l’étranger mettrait en péril ma propre culture, ou celle de ma communauté ?

 

Nos Églises s’engagent dans une dynamique missionnaire, vers celles et ceux qui sont différents, « étranges » peut-être. Qui me donnera la confiance et la sécurité dans cette rencontre de l’étranger ? Qui, si ce n’est Dieu, qui m’accueille tel que je suis ? Dieu me trace un chemin que je ne connais pas, mais qui me conduit à la vie, et fait revenir mon être. Il me relève pour la vie.

 

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