Le protestantisme par la peinture
Par Éric Deheunync, Liens protestants
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Après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, la répression s’accentue à l’encontre des protestants, devenus les « Nouveaux convertis ». Les pasteurs doivent quitter le royaume sous peine de mort. Les prédicateurs sont pendus. Les fidèles risquent la prison. Les lieux de détention sont nombreux mais le plus célèbre reste la tour de Constance à Aigues-Mortes (Gard).
Les premiers détenus entrent en 1686 ! La tour érigée sous Saint Louis n’est alors qu’un lieu de transit… ensuite la galère pour les hommes, les colonies pour les femmes. Les autres prisonniers sont conduits dans les geôles de Montpellier, Nîmes, ou encore le fort de Brescou.
Le Désert au féminin
À partir de 1730 seules des femmes sont détenues dans la tour.
Elles sont réduites au pain et à la paille du roi, et disposent de l’eau du puits. Pour le reste, elles doivent compter sur leur travail, leurs ressources propres ou les aides extérieures. Les épidémies, la malnutrition, les mauvais traitements font des ravages.
Marie Durand est la plus célèbre de ces détenues. Originaire du Bouschet de Pranles, en Vivarais, elle est enfermée en 1730 à l’âge de 19 ans. Son arrestation vise à contraindre son frère, le pasteur du Désert Pierre Durand1, à se rendre. Devenue la plume du groupe, elle écrit à ceux qui peuvent les aider, raconte leur quotidien, tient une liste des prisonnières… Un jour de 1767, le prince de Beauveau, gouverneur du Languedoc, passe par là. Il découvre quatorze femmes âgées, parfois aveugles, et décide de les libérer petit à petit, contre l’avis de son ministre. Marie Durand retrouve son village natal en 1768, après 38 années de captivité. Elle meurt en 1776 à l’âge de 65 ans.
Un total désœuvrement
Le tableau nous emmène dans la salle haute de la tour de Constance. Le mur de pierres bouche l’horizon. La modeste ouverture, une meurtrière, et les barreaux accentuent l’impression d’enfermement. Ce choix n’était pas obligatoire car les détenues avaient accès à la terrasse de la tour. Max Leenhardt les y a d’ailleurs représentées sur une de ses toiles.
Les prisonnières apparaissent dans le plus total désœuvrement. Leurs émotions sont des plus variées. À gauche l’une d’entre elles sur son grabat est manifestement malade. Trois femmes semblent désespérées. Deux se tiennent la tête dans les mains tandis que la troisième est assise les bras ballants. Une autre regarde pensive par la meurtrière. À droite une détenue en réconforte une autre. Au centre l’une d’entre elles lève les yeux au ciel, enfin vers la voûte, comme pour implorer l’Éternel. Le puits sur lequel sont assises deux prisonnières renvoie, pour l’initié, au fameux graffiti « Résister » gravé sur la margelle.
Mais où est Marie Durand ? Selon la revue Le soc, Marie Durand est la femme âgée au centre. Les bras croisés, elle exprime à la fois son opposition et sa détermination. Mais les premiers guides du musée du Désert où est exposée la toile ne le confirment pas ! Marie serait la jeune femme aidant une autre !
Au-delà de l’œuvre
Patrick Cabanel dans son dernier ouvrage « La fabrique des huguenots » explique comment au XIXe siècle s’est fixée une histoire et surtout une mémoire huguenote. Mais la mémoire n’est pas l’histoire. Elle sélectionne, affirme, simplifie. Le cas des prisonnières de la tour est révélateur. D’autres prisons auraient pu devenir un lieu de mémoire huguenot. La tour de Crest (Drôme) est bien plus imposante. La tour Saint-Nicolas à La Rochelle (Charente-Maritime) a vu passer quelques détenus célèbres2. Des vitraux au musée du Désert représentent d’ailleurs ces deux lieux.
La tour de Constance reprend un nom de femme, mais aussi une vertu. Et surtout elle est connue pour le graffiti « Résister ». Mais s’agit-il de résister à l’oppression ou à la tentation d’abjurer3 ? Plus surprenant encore, cette salle haute de la tour a servi de prison en 1704 au chef camisard Abraham Mazel4 et à trente-cinq de ses compagnons d’armes… Eux aussi pourraient avoir écrit ledit graffiti5. Mais la mémoire a tranché. C’est Marie Durand qui l’a gravé.
Là aussi on peut se demander pourquoi son nom s’impose parmi toutes ces prisonnières. Elle meurt en 1776 dans la pauvreté et l’oubli. Elle ne détient pas le record de durée de détention. Marie Robert a été prisonnière pendant 40 ans à Aigues-Mortes. Son seul titre de gloire est d’être la sœur d’un pasteur du Désert devenu martyr. La maison Pierre et Marie Durand, devenue musée, nous le rappelle. L’avantage de Marie Durand est d’être une femme lettrée. Elle écrit pour toutes et devient leur nom. Elle seule peut avoir gravé le graffiti5. Sa correspondance est devenue une source précieuse pour les historiens du XIXe siècle en quête d’héroïne huguenote. Elle est devenue la « Marie » des protestants comme nous le rappelle dans ses mémoires le poète Frédéric Mistral : « Poète ne t’étonne pas de nous voir pleurer : pour nous autres, les huguenotes, ces pauvres femmes martyres de leur foi, ce sont nos Saintes Maries ».
1 Il sera arrêté en 1732, jugé sommairement à Montpellier et exécuté.
2 Le maître d’école Jean Migault est le plus connu d’entre eux.
3 On ne compte que huit abjurations entre 1735 et 1743.
4 L’évasion d’Abraham et de ses compagnons est des plus rocambolesques. Après avoir descellé la pierre inférieure de la meurtrière, ils s’évadent grâce à une corde faite avec leurs chemises !
5 Beaucoup de protestants ont gravé leur nom dans cette tour, associé à un W qui est en fait un oméga minuscule, en référence à un verset biblique où le Christ est l’alpha et l’oméga, le début et la fin de toute chose.
→ Pour aller plus loin : Cabanel Patrick, La fabrique des huguenots, une minorité entre histoire et mémoire XVIIIe -XXIe siècle, Labor et Fides, 2022.
→ Retrouver d’autres articles sur le thème, Le protestantisme par la peinture, parus sur ce site :
– Le pasteur Anslo et son épouse.
– Luther et ses collaborateurs.