Le retable de la Réformation

L’église Sainte-Marie au cœur de la vieille ville de Wittenberg est traditionnellement appelée « l’église-mère de la Réforme ». Son histoire et son patrimoine artistique, en particulier le retable de la Réformation, justifient amplement un tel titre.

Le protestantisme par la peinture

Le retable de la Réformation par Lucas Cranach l’Ancien © Domaine public

 

Par Éric Deheunync, Liens protestants

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Ce triptyque est le résumé en images d’une doctrine en devenir, un instantané dans l’histoire de la Réforme.

 

La question des images

 

Alors que Luther s’est réfugié dans la forteresse de la Wartburg, la ville de Wittenberg est touchée par la réforme radicale. En 1522 les iconoclastes inspirés par Karlstadt, ancien disciple de Luther, entrent dans l’église et y détruisent les images.

 

Ces troubles incitèrent le réformateur à sortir de son refuge. Luther doit prendre position, ce qu’il fait en venant prêcher ici lors du temps de carême de l’année 1522. Certes il est d’accord pour rejeter le culte des images et pour rappeler l’interdit biblique. L’image ne saisit que l’apparence. Mais, pour lui, elle est un objet neutre dont on peut faire une idole. L’interdit biblique concerne les idoles et non les images en général. L’idolâtrie est d’abord dans nos regards.

 

A contrario l’image peut servir à montrer, diffuser l’Évangile et devenir un outil pédagogique. Luther reconnait donc à l’image une place, y compris dans l’espace religieux. Elle peut avoir une fonction didactique (elle aide à mieux comprendre un élément de foi), kérygmatique (elle accompagne la Parole de la prédication) et méditative (elle aide à une appropriation personnelle de la foi). Luther demande au peintre Lucas Cranach l’Ancien de composer un grand tableau qui viendra remplacer les œuvres détruites, un triptyque vite appelé « retable de la Réformation ».

 

Trois panneaux pour trois sacrements

 

Le retable de Cranach, monumental et central, attire tous les regards. L’œuvre majeure de l’église nous transmet un message théologique en représentant les trois sacrements reconnus par Luther, à savoir, la Cène au centre, le baptême à gauche, la confession ou pénitence à droite.

 

Partie central du retable © Domaine public

La partie centrale nous montre le Christ et les apôtres attablés autour d’un agneau pascal, ce qui est classique. La nouveauté est dans la coupe apportée à un des convives. La sainte cène luthérienne prévoit en effet la communion sous les deux espèces, le pain et le vin. Comme pour les Hussites un siècle auparavant, ce partage est bien plus qu’un rite. Accorder au fidèle la coupe réservée jusqu’alors au clergé est un signe visible du sacerdoce universel. On peut remarquer à l’horizon une forteresse qui ressemble à s’y méprendre à celle de la Wartburg où Luther se réfugia et traduisit le Nouveau Testament en allemand.

 

À gauche, un enfant reçoit le baptême par aspersion. Là aussi, le geste est lourd de sens. Il est une réponse aux anabaptistes qui ne baptisent que des adultes. Le panneau de droite représente une scène de confession. Le confesseur assis au centre tient les clés du paradis que la papauté a tendance à s’attribuer. Il en place une au-dessus de la tête du fidèle absout. La partie inférieure ou prédelle montre Martin Luther en train de prêcher… mais c’est bien le Christ qui est au centre de la composition. Le triptyque de Cranach est un vrai manifeste de la Réforme luthérienne, mais aussi une réponse en images aux iconoclastes passés ici en février 1522.

 

Au-delà de l’œuvre

 

Ce tableau comme celui étudié le mois dernier est un portrait collectif. Les personnages qui peuplent ce triptyque sont loin d’être des anonymes. Luther est présent à deux reprises, en chaire bien sûr mais aussi à la table des apôtres. Le nouveau disciple du Christ se retourne pour recevoir la coupe, mais il est difficilement reconnaissable car barbu. C’est une allusion à son refuge à la Wartburg où il cachait son identité réelle. Cranach l’Ancien est aussi représenté deux fois, comme parrain lors du baptême et dans le public écoutant le prêche.

 

À gauche Philipp Melanchthon donne le baptême. À ses côtés l’électeur Frédéric-Jean de Saxe tient un livre, une bible ou un livre de prière de Luther. À droite, le confesseur est Johannes Bugenhagen, premier pasteur de Wittenberg et confesseur de Luther.

 

Les proches des uns et des autres, enfants ou épouses, sont également représentés, faisant de ce tableau un quasi portrait de famille ! Ainsi sur le panneau de gauche, les femmes sont nombreuses à assister au baptême. On y retrouve les épouses de Luther, Bugenhagen, Cranach l’Ancien…

 

Le plus intéressant dans ce triptyque est bien la présence de la confession à côté du baptême et de la Cène. Ce troisième sacrement de pénitence se distingue de la pratique catholique en plusieurs points. L’Église n’a aucun pouvoir, seule compte la foi du croyant. Le pardon est accordé gratuitement à celui qui se repent et qui croit. Luther reconnaît donc d’abord trois sacrements. Au baptême et à la Cène, il ajoute la pénitence mais il y renonce finalement parce qu’aucun signe matériel n’y est clairement attaché. Le triptyque nous renvoie donc à une doctrine en devenir…

 

En 1547 lorsque l’œuvre est achevée, tous ne sont plus en vie. Cranach l’Ancien meurt avant de donner la touche finale à son œuvre, achevée par son fils Cranach le Jeune. Luther lui-même rend l’âme l’année précédente. Le plus paradoxal reste que cette œuvre majeure de la Réforme est achevée l’année de la défaite des protestants à Mülhberg. L’avenir du protestantisme était à ce moment-là des plus incertains.

 

 

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