Allégorie d’une dispute théologique

Le musée des Beaux-Arts de Lyon compte une grande variété de toiles des maîtres hollandais, vanités, paysages, portraits… Mais l’une d’entre elles aborde une question peu fréquente, la dispute théologique. Pourtant le message transmis est autant politique que religieux.

Le protestantisme par la peinture

Allégorie sur les disputes entre remontrants et contre-remontrants en 1618 par Abraham van der Eyk, 1721 © Domaine public.

 

Par Éric Deheunync, Liens protestants

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Le point de départ est un conflit entre deux théologiens de l’université de Leyde sur la question de la prédestination.

 

De la dispute théologique à la crise politique

 

Le professeur Arminius souhaite adoucir l’orthodoxie calviniste en accordant à l’homme une part de liberté. Ainsi il peut accepter ou refuser la Grâce divine. Le salut est pour tous mais se limite à ceux qui croient en Christ… Son collègue Gomarus défend lui la double prédestination calviniste, à savoir que Dieu aurait choisi de toute éternité ceux qui seront sauvés et ceux qui seront damnés. Nos actes ne sauraient modifier notre sort fixé avant même notre naissance !

 

Arminius meurt en 1609 mais ses partisans formalisent sa doctrine dans la Remontrance de 1610, d’où leur nom de Remontrants. L’assemblée des États généraux pense clore la polémique en déclarant valables les deux doctrines, qui divergent sur des points mineurs (dixit). La province de Hollande choisit la version arminienne.

 

Mais en 1618 les États généraux décident de convoquer un synode sur la question. La Hollande et son pensionnaire1, Johan van Oldenbarnevelt, menacent de faire sécession. Le stadhouder2, le chef militaire, Maurice de Nassau envahit la province et fait arrêter ses chefs. La dispute théologique devient une crise politique.

 

Jugement de Dieu ou des hommes ?

 

Les personnages sont nombreux sur ce tableau ! À droite les Contre-Remontrants avec Gomarus derrière le plateau et le stadhouder Maurice de Nassau3 avec son bâton de commandement. À gauche les Remontrants avec Arminius derrière le plateau et Johan van Oldenbarnevelt reconnaissable à sa canne, allusion à son âge avancé. Les membres du synode siègent à l’arrière-plan.

 

La balance au centre est un classique de la propagande protestante, elle représente la justice de Dieu. Ici elle penche à droite du côté des Contre-Remontrants. Pourtant plusieurs indices ne plaident pas en faveur d’un choix de Dieu. Deux livres sont posés sur les plateaux, à gauche la Bible (Biblia) et à droite l’Institution de la religion chrétienne de Calvin. Ce qui fait pencher la balance ce n’est donc pas la Bible mais l’épée du stadhouder Maurice de Nassau. La représentation renvoie donc plutôt à l’histoire antique quand le chef gaulois Brennus posa son épée dans la balance aux dépens des Romains payant tributs, avec cette phrase devenue célèbre « malheur aux vaincus ». Le tableau dénonce donc le synode de Dordrecht comme contraire à la volonté divine. L’arrière-plan le confirme. La déesse de la justice tient une épée sans lame et une balance inutilisable. Le synode est un déni de justice. À gauche Oldenbarnevelt est livré à des monstres mais reçoit la couronne de lauriers du martyr. Le peintre dénonce aussi les ambitions monarchiques du prince, vêtu du manteau pourpre des empereurs au revers d’hermine des rois !

 

Au-delà de l’œuvre

 

Ce tableau rappelle deux particularités de la république des Provinces-unies. Comme la religion officielle est réformée, le politique et le religieux sont imbriqués. Ainsi les États généraux s’immiscent dans les questions théologiques, tandis que la religion est instrumentalisée pour régler des différends politiques. Derrière le synode se cachent des enjeux de pouvoir.

 

La république n’a pas de constitution. Or il existe deux pouvoirs rivaux, le civil incarné par le pensionnaire (un pour chaque province) et le militaire représenté par le stadhouder (un pour chaque province avec possibilité de cumuler). Le pensionnaire de Hollande, appelé à l’étranger le grand-pensionnaire4, fait figure de chef du pays. Mais la maison d’Orange-Nassau qui monopolise les charges de stadhouder apparaît comme un contre-pouvoir surtout en période de guerre. Rien ne permet de réguler la rivalité entre ces deux pouvoirs. Le tribunal d’exception mis en place pour juger et condamner à mort Johan van Oldenbarnevelt est un coup de force du prince, pour ne pas dire un coup d’État. Le grand-pensionnaire est décapité quelques jours après la fin du synode.

 

Mais le tableau est daté de 1721… un siècle après les événements5. Le contexte a totalement changé. Le peintre Abraham van der Eyk est lui-même remontrant. Son Église n’est plus classée parmi les hérétiques et la charge de stadhouder a disparu pour un temps. La vérité a donc fini par vaincre !

 

Gravure tirée du Palamedes de Vondel (1625) © Domaine public

La balance (gravure de 1618) © Domaine public

 


 

1 Le pensionnaire est le chef civil de la province, même si officiellement il n’est que le secrétaire de l’assemblée provinciale (raadpensionaris).

2 Le stadhouder, littéralement lieutenant, est un chef militaire dans les Provinces-unies.

3 À ses pieds Jacobus Trigland, le pasteur d’Amsterdam qui l’avait supplié d’intervenir.

4 Le titre est donné par les diplomates français, rappelant ainsi la prééminence de la Hollande au sein des Provinces-unies. Le Grand-pensionnaire est, de fait, considéré comme le principal interlocuteur du pays.

5 Le peintre s’inspire de deux gravures du XVIIe siècle pour concevoir son tableau : gravure tirée du Palamedes de Vondel et La Balance.

 

 

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