Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
4e volet
L’analyse comme l’interprétation de ces sources royales est indispensable pour accuser ou disculper le pouvoir.
Les lettres aux gouverneurs du 24 août 1572 : au plus près du commencement
« Mon cousin, vous avez entendu ce que je vous écrivis avant hier de la blessure de mon ami l’amiral, et comme j’étais après à faire tout ce qui m’était possible pour la vérification du fait et châtiment, à quoi il ne s’est rien oublié. Depuis il est advenu que ceux de la maison de Guise et les autres sieurs et gentilshommes qui leur adhérent et n’ont pas petite part en cette ville comme chacun sait, ayant su certainement que les amis de mondit cousin l’amiral voulaient poursuivre sur eux la vengeance de cette blessure pour les en soupçonner en être cause et occasion. Se sont émus cette nuit passée si bien que entre les uns et les autres il s’est passé une grande et lamentable sédition. Ayant été forcé le corps de garde qui avait été ordonné autour de la maison dudit sieur amiral, lui tué avec quelque autres gentilshommes comme il en a été massacré d’autres en plusieurs endroits de la ville. Ce qui a été mené avec une telle furie qu’il n’a été possible d’y apporter le remède, ayant eu assez à faire à employer mes gardes et autres forces à me tenir le plus fort en ce château du Louvre.(…) Et d’autant qu’il est à craindre que telle émotion ne soulève par mon royaume mes sujets les uns contre les autres, et n’adviennent plusieurs massacres par les villes, de quoi j’aurai un merveilleux regret. Je vous prie mon cousin de faire au plus tôt publier et entendre par tous les lieux et endroits de votre gouvernement que chacun est à demeurer en repos et sûreté dans sa maison, ne prendre les armes et offenser l’un l’autre sur peine de la vie (…).
Écrit à Paris le 24eme jour d’août 1572. »
La lettre aux gouverneurs nous est parvenue en plusieurs exemplaires. Émanant du pouvoir royal et datée du 24 août 1572, le document ne peut être négligé. Le roi y apparaît comme un spectateur impuissant face à un règlement de comptes entre les maisons de Guise et de Coligny. La description n’est pourtant pas neutre. Ainsi Coligny est « notre ami l’amiral » tandis que « ceux de la maison de Guise » sont responsables d’une « grande et lamentable sédition ». Le massacre qui s’en suit doit être évité en province, d’où la lettre. À Paris le roi en est réduit à garder ses propres forces pour défendre le château du Louvre.
La déclaration au Parlement de Paris du 26 août 1572 : la thèse officielle
« Sadite majesté déclare que ce qui en est ainsi advenu a été par son exprès commandement, et non pour cause aucune de la Religion, ne contrevenir à ses édits de pacification qu’il a toujours entendu comme veut et entend observer, garder et entretenir, [mais] pour obvier et prévenir l’exécution d’une malheureuse et détestable conspiration faite par ledit amiral, chef et auteur d’icelle et ses adhérents et complices (…) . »
Il n’existe par de compte-rendu officiel de la déclaration de Charles IX devant le Parlement de Paris, mais des « copies ». Le contraste avec la lettre du 24 août est frappant. Désormais le conspirateur s’appelle l’amiral, et le bras armé est le roi lui-même. Charles IX a étouffé dans l’œuf un complot protestant. Mais le duc de Guise est absent, dans le texte comme dans la salle, alors qu’il fut un acteur majeur de l’assassinat de Coligny. Dans la lettre comme dans la déclaration se discerne la même volonté de préserver les édits de pacification et la paix dans le royaume. Ces deux sources royales, la lettre et la déclaration, laissent perplexes car elles s’opposent. Cette contradiction au sommet de l’État devra être interprétée. Pourquoi Charles IX dit-il une chose et son contraire en deux jours de temps ?
La lettre de Louis de Gonzague du 20 août 1573 : un regard rétrospectif
« À la reyne, mère du roi
C’est chose qui doit être trouvée bien étrange, le bruit que l’on fait courir de la Saint-Barthélémy sur les Italiens car cela ne tend à moins qu’une querelle du bien public, laquelle il faut éviter comme chose dangereuse, or qu’elle ne soit telle qu’était l’autre couverte du manteau de la religion, de laquelle néanmoins on en est venu à bout.
Il ne faut douter que le peuple ne soit fort irrité contre d’aucuns banquiers italiens. Parce qu’ils pensent provenir d’eux toutes les inventions des subsides et gabelles que la nécessité du temps a contraint d’imposer. (…) »
Louis de Gonzague, duc de Nevers, est un proche de Catherine de Médicis. Il la met en garde sur le risque d’une nouvelle Saint-Barthélemy cette fois-ci « sur les Italiens ». La cause en serait sa politique de surfiscalisation, les banquiers italiens devenant la cible des émeutiers. Cette lettre un an après les évènements, nous informe sur la nature de la Saint-Barthélemy. C’est « une querelle du bien public […] couverte du manteau de Religion. »
L’expression renvoie à une révolte des grands seigneurs contre le pouvoir royal. Pour arriver à leurs fins ils manipulent l’opinion et exploitent le mécontentement populaire. Le roi n’est donc pas le décideur mais la cible. Le duc évoque d’ailleurs plus loin dans sa lettre l’« esmeute générale », la « sédition », la « rébellion ». Le grand seigneur n’est pas nommé dans la lettre mais difficile de voir quelqu’un d’autre que le duc de Guise. Cette thèse défendue par J-L Bourgeon est contestée par Arlette Jouanna qui estime qu’il faut distinguer deux Saint-Barthélemy, l’assassinat de Coligny voulue par le pouvoir et le massacre qui s’en suit échappant au pouvoir… mais l’auteur de la lettre ne fait pas cette distinction. Pour Louis de Gonzague, la Saint-Barthélémy orchestrée par le duc de Guise visait le pouvoir royal et sa politique. La religion n’est plus qu’un « manteau » sous lequel il cache ses ambitions personnelles.
En septembre 2021, Jérémy Foa a apporté de nouvelles pièces au dossier. Il ne s’intéresse pas au pouvoir royal, ni au duc de Guise, ni à l’ambassadeur d’Espagne mais aux massacreurs eux-mêmes. Quels étaient leurs profils, leurs modes opératoires, leurs motivations ? Qui leur a donné l’ordre ? Pour répondre à ces questions il s’est plongé dans des sources souvent négligées, les registres d’écrou et les actes notariés… un travail de bénédictin mais des plus fructueux.
Éric Deheunynck
→ Prochain article : Les sources juridiques, la nouvelle approche de Jérémie Foa.