Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
3e volet
Les sources narratives : raconter la Saint-Barthélemy
Les témoins comme les historiens ont raconté la Saint-Barthélemy selon ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont recueilli comme informations. Ceux qui peuvent témoigner du massacre sont soit des survivants, soit leurs bourreaux ou des « neutres ». Sully, présent à Paris le jour de la Saint Barthélemy, raconte comment il a échappé au massacre en se déplaçant avec un livre de prière catholique. Le massacreur Thomas Croizier se vante selon Pierre de l’Estoile d’avoir tué de sa main plus de 80 huguenots tandis qu’un marchand de Strasbourg raconte ce qu’il a vu à Paris un 26 août 1572, à savoir le massacre en pleine rue d’une femme enceinte. Si certains, des chroniqueurs, s’expriment au moment des événements, d’autres témoignages sont rédigés bien plus tard comme ceux de Marguerite de Valois, d’Agrippa d’Aubigné ou de Sully. Ces écrits sont donc à lire comme un regard rétrospectif sur le massacre.
À ces témoins s’ajoutent les historiens qui recueillent les témoignages, les interprètent, les mettent en perspective.
Le curé Haton nous transmet les témoignages qu’il compile sans plus d’esprit critique.
Inversement Estienne Pasquier expose sa méthode, citant ses sources, puisant plus chez les chroniqueurs que les polémistes. Certains historiens paraissent ainsi plus fiables que d’autres.
Au final les écrits sur la Saint-Barthélemy sont nombreux, on peut ainsi les croiser avec esprit critique, on risque aussi d’être confronté à leurs contradictions. Ils permettent néanmoins de raconter le massacre sans pour autant en connaître vraiment les commanditaires.
Les sources polémiques : les légendes ont la vie dure
Jeanne d’Albret, mère d’Henri de Navarre, arrive à Paris en avril 1572 pour le mariage qu’elle a préparé avec Catherine de Médicis. Mais le 9 juin 1572, elle meurt, laissant Catherine maîtresse du jeu. En 1574, un pamphlet accuse la reine mère d’avoir empoisonné la reine de Navarre.
Quarante ans plus tard, dans son histoire universelle, Agrippa d’Aubigné se fait plus précis. C’est le parfumeur de Catherine, René Bianchi, qui lui fournit un gant empoisonné. Le scénario est repris par Alexandre Dumas dans La reine Margot et par les peintres romantiques. Aujourd’hui, aucun historien ne reprend cette thèse sans preuve, sans témoin, tardive et construite tardivement. Jeanne d’Albret meurt de la tuberculose.
L’ « empoisonnement » est une de ces pièces douteuses versées dans le dossier de la légende noire de Catherine de Médicis. Les petites armoires de son studiolo de Blois n’étaient donc pas remplies de poison. Les polémistes du XVIe voulant affaiblir le pouvoir royal et les romantiques du XIXe à la recherche d’histoires croustillantes ont véhiculé cette légende jusqu’à aujourd’hui. Les autres membres de la famille royale furent également victimes de ces calomnies, Charles IX le roi arquebusier et Henri III le roi au bilboquet. Il faut se méfier de ces textes polémiques, les croiser avec d’autres sources et les contextualiser. Les fake news ne datent pas de Trump.
La question de l’interprétation : le cas des archives de Simancas
Le château de Simancas, non loin de Valladolid, abrite les archives espagnoles. Le royaume ibérique est au XVIe siècle au sommet de sa puissance et multiplie les ingérences dans les affaires intérieures françaises. L’Espagne est donc non seulement une observatrice plus ou moins bien informée mais aussi une actrice de l’ombre. Que nous disent ces archives espagnoles ? La correspondance de l’ambassadeur Diego de Zúñiga a été scrutée par les historiens. Elle ne livre aucune preuve d’ingérence espagnole. Ainsi, la lettre envoyée à Philippe II, le 23 août 1572, fait état de l’attentat visant Coligny.
L’ambassadeur semble étranger à l’événement et considère même que Coligny serait plus utile vivant que mort1. « Je dis à l’époque que je pensais qu’il serait commode que ce coquin vive ». Pour Arlette Jouanna, l’Espagne n’a donc joué aucun rôle dans la Saint-Barthélemy. Jean-Louis Bourgeon interprète ces archives différemment. Les « silences » de l’ambassadeur s’expliquent par le risque d’interception de ce type de courrier diplomatique. D’ailleurs, le 24 août l’ambassadeur n’envoie pas à Madrid une lettre mais son secrétaire pour y faire une présentation orale du massacre. Nous en avons gardé un compte-rendu écrit ! On peut d’ailleurs s’étonner de la réaction de l’ambassadeur dans sa lettre du 23 août. Se réjouir de la survie de Coligny n’est-il pas un moyen de minimiser l’échec de l’attentat ? Finalement, il serait plus utile vivant que mort.
Il n’est pas sûr que le roi d’Espagne soit si bien informé. Jérôme Gondi renseignait l’ambassadeur espagnol sur les discussions au sein du Conseil royal, moyennant finances. Mais ce proche de Catherine de Médicis était probablement un agent double, laissant filtrer des informations favorisant les desseins de la reine. Les archives de Simancas posent la question de l’interprétation des sources. Celui qui écrit n’est jamais neutre, pas nécessairement bien informé.
Les témoins comme les historiens sont des observateurs et non des décideurs. Il faut se rapprocher du pouvoir pour répondre à la question « Qui a donné l’ordre ? ». Des sources royales existent, en particulier sous forme de lettres, mais elles sont contradictoires, ce qui repose la question de leur interprétation.
Éric Deheunynck
1 Coligny sert de « masque » au roi de France car il lui permet d’intervenir indirectement dans les affaires des Pays-Bas espagnols. L’activisme de l’amiral évite ainsi une intervention officielle donc une guerre ouverte.
→ Prochain volet : Les sources royales : incontournables mais contradictoires.