Le protestantisme par la peinture
Par Éric Deheunynck, Liens protestants
Les prémices ou les premiers fruits © Johann Valentin Haidt
La toile exposée dans la petite salle de la Communauté des Frères de Zeist (Pays-Bas) a été reproduite en plusieurs exemplaires. Elle témoigne du temps des premières missions, mais aussi du dynamisme inattendu d’une communauté ultra-minoritaire, l’Église morave.
Les Frères tchèques et moraves apparaissent au milieu du XVe siècle alors que l’Église hussite est devenue officielle sur les terres de la couronne de Bohême. En 1457 Petr Chelčický fonde le mouvement (tchèque en Bohême, morave en Moravie) prônant le pacifisme et l’absence de hiérarchie. Les Frères passent à la Réforme au XVIe siècle, mais en 1620 les troupes protestantes sont écrasées à la bataille de la Montagne Blanche, le catholicisme est rétabli en Bohême Moravie. Le mouvement entre en clandestinité avant d’être marqué par l’exil. En 1722 un noble saxon, le comte de Zizendorf, accueille ces fugitifs sur ses terres à Herrnhut. C’est un moment de Réveil teinté de piétisme allemand. Une communauté s’installe en 1746 à Zeist qui devient un centre missionnaire. Les deux Églises, tchèque et morave, fusionnent dans l’Unité des Frères qui compte aujourd’hui un peu plus d’un million d’adeptes dans le monde.
C’est le comte de Zizendorf lui-même qui passe commande de la toile à Johann Valentin Haidt (1700-1780). Le prêcheur morave actif en Pennsylvanie est surtout connu pour ses tableaux en particulier das Erstlingsbild, la représentation des prémisses ou des premiers fruits.
Le Christ et son Église universelle
Le Christ est au centre, calme et serein. Il tend la main, tel un sauveur. Autour de lui, sont représentées 21 personnes du monde entier, hommes, femmes et enfants. Ils regardent le spectateur comme pour le prendre à témoin. Ces personnes ne sont pas imaginaires, elles ont toutes un nom, un pays d’origine, une histoire. Elles sont peintes grandeur nature, avec leurs vêtements traditionnels et des traits du visage individuel. Ce sont les premiers convertis par les missions moraves, les prémisses, les premiers fruits. Chacun a une histoire à nous raconter… je vous propose de suivre le destin de trois d’entre eux.
Au premier plan de la toile se trouvent deux garçons africains. Celui de gauche s’appelait Carmel Oly. Il venait du royaume de Loango dans le bassin du Congo, mais fut enlevé par des marchands d’esclaves puis déporté à Saint-Thomas dans les Antilles danoises1. Là, les missionnaires moraves achetèrent sa liberté. Il fut ensuite emmené en Allemagne où il fut baptisé du nom de Josué en 1735, mais mourut de maladie l’année suivante.
K’âjarnaĸ (à gauche habillé en noir) a vécu au Groenland dans la mission morave de Neu-Herrnhut2. Il est le premier autochtone à se faire baptiser en 1739. Lecteur assidu de la Bible, curieux, il joue un rôle majeur en ces débuts de l’évangélisation. Menacé, il se réfugie avec sa famille dans le sud de l’île.
Le Mohican Johannes Tschop est particulièrement mis en valeur. Il regarde la blessure latérale du Christ comme l’apôtre Jean dans nombre de tableaux. Tschop (ou Coop) était professeur et interprète dans la communauté de Shekomeko (actuel état de New York). Les contemporains disaient qu’il avait une étonnante ressemblance physique avec Martin Luther… La première communauté chrétienne indienne en Amérique fut donc établie en 1740 par les Frères dans ce village mohican de Shekomeko. Les Moraves devinrent les grands défenseurs des Amérindiens.
Ils portent tous la palme ; sont-ils des martyrs ? Non, il faut plutôt y voir une référence à l’Apocalypse. « Après cela, je regardai, et voici, il y avait une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l’agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mains. » (Ap 7,9). Un ange au-dessus du Christ tient d’ailleurs le verset à la main.
Au-delà de l’œuvre
Ce tableau témoigne d’abord de l’œuvre missionnaire des Frères moraves. Les liens tissés entre Zizendorf et le roi du Danemark expliquent le choix des premières destinations : les colonies danoises du Groenland et de l’île de Saint-Thomas. Représenter les premiers convertis et les faire venir en Europe participe à la propagande de l’Église : les missions portent des fruits. Peindre 21 portraits, c’est aussi rappeler que la conversion est un acte individuel.
Le tableau véhicule également un regard universaliste. Ainsi pour l’affiche de l’expo Der Luthereffekt, 500 jahre protestantismus in der Welt3, c’est une copie du tableau qui est reprise en toile de fond. En 2017, le Deutsches Historisches Museum présente alors pour la première fois une histoire mondiale du protestantisme.
La toile est aussi relue à travers la question de l’esclavage. Certains personnages sont sans chaussures, donc toujours esclaves. L’un d’eux a même encore des fers. Leur changement de nom est parfois vu comme une atteinte à leur identité. Pourtant dans la Bible, le procédé est typique pour indiquer une nouvelle vocation. Le port des habits traditionnels infirme toute négation de l’identité initiale. Les missions moraves s’inscrivent dans le contexte du colonialisme dont le tableau témoigne encore malgré lui.
1 L’archipel acheté par les États-Unis en 1916 est aujourd’hui connu sous le nom d’îles Vierges américaines.
2 Les Moraves participent à la fondation de la future capitale du Groenland, Nuuk.
3 L’effet Luther, 500 ans de protestantisme dans le monde.
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